Allô Docteur ?

Bernard Fontanille, urgentiste des secours en montagne, présentateur de la série Médecines d’ailleurs et grand amateur de ski, a accepté de répondre à quelques questions sur la situation liée au covid 19. Habitant à Chamonix, officiant à Verbier en pleine vague de l’épidémie, il nous livre ses impressions sur la crise de chaque côté de la frontière et, au-delà, partage ses interrogations sur le monde d’après.

Black Crows : Salut Bernard, toi qui es médecin urgentiste des secours en montagne, curieux des médecines du monde et grand amateur de montagne et de ski, quel regard portes-tu sur la situation que nous vivons ?

Bernard F. : Salut, d’abord, ce qui me vient, c’est la vue de ce loup filmé hier sous la benne de l’aiguille du Midi. La nature reprend vite ses droits. Au-delà de ce clin d’œil, mine de rien, dans l’histoire du ski, ce n’est pas rien ce qui se passe. Il n’y a pas grand-chose d’autre qui puisse arrêter les sports d’hiver d’une manière si immédiate. Le seul moment où la montagne a été aussi tranquille, c’est avant les remontées mécaniques, donc au tout début du XXe siècle. Ça fait un siècle que la montagne n’a pas été calme comme ça. Je ne crois pas que dans l’histoire du ski, on ait arrêté de skier en même temps dans quasiment le monde entier, ou alors peut-être pendant les guerres mondiales. En tout cas en ce qui concerne le ski mécanisé, parce qu’en Suisse, ils font encore de la rando. Ce n’est pas conseillé, mais ils ont le droit.

Philippe Fragnol

Concernant les domaines skiables, on s’est rendu compte que plusieurs stations de ski dont Courchevel, Ischgl en Autriche et Verbier en Suisse sont des gros points de départ de contagion en Europe. Le virus s’est concentré là, puis il s’est diffusé. C’est un peu comme ce qui s’est passé aux États-Unis avec le spring break (réunions festives pour célébrer les vacances de Pâques, NDLR). Une étude à montrer les téléphones portables des gens qui étaient au Spring Break en Floride avait diffusé le virus partout. Ça a été la même chose à Ischgl, à Verbier et à Courchevel. C’est quand même marrant que ce soient des stations de ski avec des ultra-privilégiés aient répandu le virus.

Les stations de ski concentrent des gens qui sont jeunes, donc très peu concernés par cette maladie d’un point de vue médical. Ils sont vecteurs sans le savoir et, vu leur niveau de vie, ils emmènent le virus partout dans le monde. Des gens qui sortent beaucoup, qui sont en groupes, en collocation, dans des bennes, donc en promiscuité importante. À Verbier, un restaurateur s’est rendu compte qu’il faisait une connerie quand il a organisé une soirée alors que la moitié de son staff était malade. Les stations de ski ont été le point de départ de contamination. Les premiers tests que j’ai faits à Verbier, j’avais 75 % de positif. Il y a eu une énorme contamination. Mais il y a aussi des restaurants qui ont fermé plus tôt, de leur propre choix avant la décision des autorités. Beaucoup, comme moi, ont été dans le déni. C’est un truc difficile à accepter psychologiquement et pourtant on pouvait comprendre ce qui allait se passer. Si on nous avait dit, début janvier, qu’on allait être confiné avec des autorisations de sortie, mais on aurait rigolé, pourtant c’était ce qui se passait en Chine. C’est pour ça aussi que je n’aimerais pas être à la place des gens qui décident.

Black Crows : Quand ils ont fermé les stations en Suisse, les stations françaises sont restées ouvertes encore deux jours, et il y avait apparemment plein d’Italiens et de Suisses qui venaient skier en France. C’est quelque chose que tu as constaté ?

Bernard F. : Bien sûr. Le tunnel n’a jamais été fermé et les Italiens du Val d’Aoste sont venus skier à Chamonix. Et même là, à Pâques, tu as des Italiens qui sont venus se balader à Chamonix. Par contre la Suisse a fermé ses frontières. Au Châtelard, il y a un plot, tu ne peux pas passer. Tu dois t’arrêter. Le mec sort, vérifie et si tu n’as pas une bonne raison d’aller en Suisse, tu ne rentres pas. Mais ça a pris un peu de temps entre le moment où ils ont pris la décision et l’application, notamment à cause des pressions économiques. Et là il y a plein de bars et de restaurants qui vont faire faillite. Et ils ont traîné à cause de ça. Ils ont compris très vite ce qui se passait, mais beaucoup ont joué avec le feu en se disant, on va serrer les fesses et ça va passer.

À Courchevel, des Russes sont rentrés dès début mars parce qu’ils ont dit qu’ils allaient être confinés en France s’ils ne rentraient pas assez vite. Donc entre mi-février et début mars, et moi je l’ai bien vu à Verbier, j’ai vu des Milanais, des Singapouriens, toutes sortes de nationalités ; j’ai flippé. J’ai dit à mes parents de se confiner le 20 février. Ils sont âgés et je leur ai dit, vous ne sortez plus. On était un mois avant le confinement en France.

Le premier dimanche de mars, on a eu une réunion avec les mairies de tout le district d’Entremont en Suisse, et avec mes collègues, on leur dit qu’il fallait tout arrêter, qu’ils ne se rendaient pas compte. L’Italie était déjà bien sous tension, la France, ça commençait à chauffer et, en Suisse, en tout cas au niveau local, ils ne se rendaient pas compte, mais vraiment pas.

À ce propos, j’aurais aimé être une mouche dans les réunions des décideurs à Chamonix. La veille de fermer les domaines de Chamonix, leur communication était qu’ils ne fermeraient pas alors que c’était déjà le cas en Italie depuis un moment et en Suisse depuis la veille. C’est aussi ça qui est interrogeant dans cette histoire, c’est que chaque pays soit contaminé l’un après l’autre. Donc tout le monde a l’expérience de celui d’avant, mais tout le monde fait les mêmes conneries que les autres. D’un point de vue social, c’est assez étonnant. Comme si tout le monde serait meilleur que l’autre. Ce qu’il ne faut pas faire, on le sait depuis longtemps et pourtant, on voit Boris Johnson en réanimation alors qu’il faisait le malin quinze jours plus tôt.

Black Crows : Au regard de la permissivité suisse concernant la randonnée, que penses-tu de son interdiction en France ?

Bernard F. : Au niveau du ski, faire de la randonnée en soi, ça ne pose pas de problème au niveau contagion. Il suffit d’être raisonnable. Et ce ne sont pas non plus la surcharge des urgences. J’ai eu des collègues à Sallanches, à Bourg Saint Maurice, et ils ont très peu d’activité par rapport à l’année précédente. D’autre part, la partie des urgences réservée au covid est complètement séparée et isolée. En Suisse où ils font beaucoup de rando, mes collègues Suisses me disent qu’il n’y pas de débordement du système de santé. L’hélico n’est jamais venu. Les gens font du ski sur des pistes damées. Ils ne font pas de hors-piste. Et bien qu’on dise tous ces skieurs qui vont en montagne, mais en réalité cela ne représente pas tant de gens que ça.

Donc, je ne crois pas que l’argument de la surcharge des hôpitaux en soit un. Ce qui prime en réalité, c’est l’aspect solidarité. J’ai des copains à Paris qui sont confinés dans des 50 m2 avec trois gosses, moi je suis aux Grassonets (Chamonix, NDLR) avec un jardin. On ne vit pas la même chose du tout. Donc c’est plus une question d’être solidaire avec des gens qui ne peuvent quasiment rien faire. Mais du point de vue de l’épidémie, il n’y a pas de risque à faire un peu de randonnée sur une piste, comme en Suisse, en prenant toutes les précautions. J’ai lu un article récemment sur la réglementation de l’accès aux plages en Australie et les gens ont le droit d’y aller sur la plage, de se baigner. Mais avec un système de régulation strict. Est-ce qu’on ne pourrait pas organiser quelque chose de similaire de manière locale ?

Pourquoi je n’irai pas en montagne pour faire une heure de peau et me défouler. C’est un vrai débat. La limite de 100 mètres de dénivelé, ça a été décidé en Préfecture et le porte-parole des guides auprès du préfet, n’a rien pu dire. Quelqu’un qui habite au pied de la pente, son cercle de 1 km est amputé de 35 % car elle ne peut pas utiliser son kilomètre à plat. On interdit aux Parisiens de faire du footing entre 10 heures et 19 heures, et ils se retrouvent tous à faire du jogging en même temps à 19 heures Toute mesure est compliquée. L’État fait ce qu’il peut et tu sens qu’il court après le truc. Un jour les masques ça ne sert à rien, le lendemain c’est obligatoire, je pense que demain tu te feras verbaliser si tu sors sans masque. C’est ça qui est terrible, c’est qu’ils ont toujours un coup de retard. Je ne blâme personne, mais quand même, ils sont dépassés, notamment avec les tests qui commencent juste à être proposés à une large échelle. Ça montre que ça n’a pas été anticipé correctement et c’est pour ça qu’il faut essayer d’anticiper pour la prochaine fois.

Il y a tous ces professionnels autour de nous, guides, moniteurs, on peut très bien imaginer de faire quelque chose avec eux. Parce que si ça se reproduit, on ne va pas rester confiner tous les hivers sans pouvoir sortir. Il faudrait qu’on se mette à réfléchir à des propositions dans le cas d’une résurgence du virus ou d’un nouveau virus et du confinement que cela nécessiterait. On va de toute façon devoir trouver une solution dès cet été à la plage. Je bosse chaque saison aux secours sur la plage de Biscarosse et on se demande avec le confrère avec qui je bosse, sachant que les Français ne vont sans doute pas partir à l’étranger, est-ce qu’ils vont tous se ruer sur les côtes ? Quelles seront les mesures de distanciations ?

Black Crows : Tu disais que tu avais testé des gens à Verbier. Tu as des tests en Suisse ?

Bernard F. : À Verbier j’ai tous les tests que je veux. Je parlais avec un collègue français il y a peu, et il a voulu se faire tester parce qu’il a eu peur et il n’a pas pu. Il n’a pas eu le droit de se tester lui-même alors que je me suis testé deux fois déjà. En Suisse, c’est beaucoup plus souple. Nous, on a des tests au cabinet. On a demandé 5 par jours parce que cela nous suffit mais on pourrait en avoir beaucoup plus. Et les labos suivent. Les gens payent, les assurances remboursent un test. Avant remboursement, la consultation et la prescription, c’est environ 180 francs (à Marseille, le dépistage est gratuit, NDLR). Nous, on prélève quasiment qui veut. On a des critères de prélèvements qui sont des consignes mais pas des obligations. Moi j’ai testé beaucoup de gens dans les collocations. J’en testais un sur sept. Et si tu regardes, les Allemands sont à 500 000 tests par semaine et nous à 20 000 maximum. On est à la traîne totale.

Black Crows : Et c’est quoi le problème ?

Bernard F. : C’est un problème d’anticipation. On n’a pas les réactifs. On n’a pas le matériel pour le faire. Je pense que ça doit coûter cher. En France, on a quand même le sentiment qu’on est à la bourre pour les masques, pour les tenues, pour les respirateurs, on est à la bourre pour tout. Ce virus met clairement en exergue le sabotage du système de soin français depuis 20 ans. Soit quasiment l’anniversaire des 20 ans de la fermeture de l’hôpital de Chamonix qui allait dans cette logique. On regroupe les moyens sur des gros centres, on ferme les petits et au final, on se retrouve avec des gros centres qui saturent dès que c’est compliqué. Et on s’en tire pas mal, aussi grâce au fait que l’Italie ait été touché largement avant nous, et que les médecins en réanimation ont pu se préparer. Ils ont quand même réussi à organiser des transferts de malade en TGV. C’est du jamais vu. Ça n’a jamais été fait et c’est une prouesse technique et médicale, mais ça montre qu’on manque de matériel. C’est un problème très hospitalier, nous les médecins de ville ça nous concerne peu. Voire, on n’a plus de travail. Les gens ne consultent plus et c’est une autre source d’inquiétude.

Black Crows : Je lisais récemment que les gens en surpoids étaient plus affectés, est-ce tu as un avis là-dessus ?

Bernard F. : Clairement, 80 % des gens intubés, ils sont gros. Ils sont en surpoids, voire obèses. Et ça, malheureusement, c’est aussi une question de niveau social. Des gens qui sont en bonne santé et qui sont minces, les milieux hospitaliers le vérifient, meurent beaucoup moins. À Chamonix, je n’ai pas connaissance de malade grave. De la même manière au Sénégal, où les gens sont minces et en bonne santé, la vague n’est pas trop violente.

Majoritairement, ce sont des vieux et des gros. Ce n’est pas Ebola où c’est un sur deux. Mais si ce sont les plus fragiles qui meurent le plus, pour les autres, la maladie paralyse tout. Si le système de soin n’était pas saturé, on n’aurait pas fait un confinement aussi strict. Chaque pays est tendu. Chaque pays dépend de la Chine pour tout, pour les masques, pour les médicaments, pour le matériel de réanimation. Là on est en pénurie de drogue pour endormir les gens. On arrive dans une situation où tout est en flux tendu, mais ça a été voulu. Les lits sont en flux tendu, c’est une logique économique d’entreprise. Et on se rend compte que le flux tendu ça marche quand il n’y a pas de grain de sable dans les rouages. Mais le moindre caillou et tout s’effondre, jusqu’à l’économie du pays.

Black Crows : Et sur l’hydroxychloroquine et Didier Raoult, quel est ton avis ?

Bernard F. : Didier Raoult, là où il m’a plu c’est qu’il a dit, je suis médecin, pour faire un diagnostic, je fais un test, et quand j’ai un test, je traite. Là on a un traitement qui semble être efficace, on va s’en servir et on verra plus tard pour les chiffres. Et il s’est fait tomber dessus, comme moi d’ailleurs, il faut faire des essais cliniques. Et la grosse polémique en ce moment, c’est : est-ce qu’en temps de crise on prend le temps de faire des essais cliniques ?

La médecine, depuis les années 1990, on fait de la médecine basée sur les preuves, evidence based medecine. Moi je n’ai pas appris la médecine comme ça. C’est un truc assez récent, mais on ne peut plus faire de la médecine sans prouver ce qu’on fait. Alors tu as des niveaux de validation, c’est assez compliqué, mais beaucoup plus honnête d’un point de vue scientifique. On fait ça parce qu’on a prouvé que, statistiquement, c’était mieux. Sauf que lui dit, en temps de crise on peut freiner l’épidémie et moi je pense que l’association avec un antibiotique est efficace, il faut le faire. Sauf que là où il a été mauvais, c’est qu’il a dit trop tôt – il avait fait une vidéo intitulée Corona virus, fin de partie – en partant du principe que son traitement était efficace, sauf qu’il n’y a que lui qui le dit. Même les études des Chinois étaient assez contradictoires. Donc moi, j’ai bien aimé sa démarche de médecin, je diagnostique, je traite.

Le problème, c’est sa communication. Il s’est laissé dépasser par son personnage. S’il avait fermé sa gueule et fait une étude béton comme il a fait maintenant avec 2 000 patients, il aurait peut-être été mieux écouté. Tous les pays le font, les Allemands soignent massivement, au Sénégal, au Maroc, ils traitent massivement, les Suisses en hôpital avec son protocole, ils le font et ils n’en parlent pas. Ils sont pragmatiques. Il n’y a pas tout ce débat sur les réseaux médicaux. Même en France, on l’utilise, le problème c’est qu’on a eu tendance à l’utiliser trop tardivement dans le développement de la maladie, ce n’est pas ce que préconise Raoult.

Black Crows : Pourquoi n’a-t-on pas appliqué son protocole ?

Bernard F. : Certains disent qu’il y a des enjeux politiques entre l’Inserm et l’IHU à Marseille, je n’ai pas d’avis là-dessus. Est-ce qu’il y aurait une guerre des labos, je n’y crois pas trop. Il n’y a pas de course à la molécule parce que si quelqu’un découvrait la formule miracle demain, il serait obligé de la partager. Par contre, je crois que tous les gouvernements et les autorités de la santé ont flippé qu’il y ait une automédication avec l’hydroxychloroquine. Pourtant il y a trois mois, tu pouvais t’en procurer sans ordonnance et c’est un médicament qui n’avait pas créé de polémiques sur ses effets secondaires. Donc je pense que l’emballement sur les effets secondaires est démesuré.

D’un point de vue médical, c’est très compliqué. Moi quand j’ai vu sa vidéo, j’en ai acheté et on en a stocké dans notre cabinet de Verbier. Du coup, c’est la première fois de ma vie que je dis à des patients, j’ai un traitement, mais je ne peux pas vous le donner. Parce que j’ai un mot du médecin cantonal, donc qui correspond au conseil de l’ordre, qui nous dit que si on prescrit de l’hydroxychloroquine à des patients, on est en faute et passibles d’une poursuite pénale. Et ils ont même demandé aux pharmaciens Suisses de délivrer des ordonnances si on prescrivait ce médicament. Je n’ai jamais vu ça. Et finalement, j’ai eu peur de me faire attaquer par des patients donc j’ai demandé une réponse écrite des autorités pour être couvert.

Raoult, le tort qu’il a eu, c’est de parler trop vite. Mais dans le fond, ce qu’il raconte n’est pas con et il est en train de traiter plein de gens. Et s’il arrive à montrer qu’il a évité plein de graves, là on aura merdé. Mais je ne pense pas qu’il y arrive. On verra. Cela dit, mis à part les effets bénéfiques ou non de son traitement, ce qu’il a réussi à faire au niveau des tests, c’est vraiment bien. Ils se sont démerdés pour avoir des réactifs. Ils ont monté un truc qui est phénoménal. Et ce qui est injuste, c’est qu’il n’a jamais dit que c’était miraculeux, il a toujours dit, ça baisse la charge virale en quelques jours au lieu de dix jours, et donc on va éviter à plein de patients d’avoir des complications et de saturer les hôpitaux. Il n’a pas dit qu’il allait traiter le problème. Il a dit que les essais en labo marchaient et qu’il allait essayer. Par contre, il s’est fait pourrir de manière exagérée par des gens qui ont des intérêts divergents, ce sont des conflits d’intérêts entre labos. Lui est lié avec Sanofy qui fait la chloroquine. Personne n’est blanc.

Je ne crois pas que le traitement de Raout ne résolve le problème, mais cela aurait peut-être pu freiner le truc. J’espère qu’il va réussir à le montrer. Et à ce moment-là, on pourra se demander pourquoi il s’est fait lyncher. Je ne crois pas aux guerres de labo, je penche plutôt vers un conflit scientifique.

Black Crows : Concernant les racines de la maladie, comment l’analyses-tu ?

Bernard F. : Il y a plusieurs vecteurs, mais c’est clairement lié à notre mode de vie. Le problème aujourd’hui, ce n’est pas seulement le réchauffement, c’est notre présence. Les espèces ne meurent pas simplement parce qu’il fait plus chaud, elles meurent parce qu’on leur bouffe leur espace et qu’on les tue. Avant de terminer la série Médecines d’ailleurs, on avait commencé à réfléchir à une série documentaire sur les maladies émergentes. Aujourd’hui, on est en plein de dedans. Ce sont des maladies qui émergent parce qu’on est trop proche de la vie sauvage. On a pris trop de place. Et c’est vraiment une maladie de notre mode de vie, dans son apparition comme dans son mode de diffusion. Et ça risque d’augmenter. Des maladies comme ça, il va y en avoir plein. Et cet épisode de confinement que nous traversons va peut-être devenir récurrent. Il faut donc essayer de trouver une meilleure politique qu’un confinement brutal, général et sans distinctions. Rien qu’avec cette maladie, il risque d’y avoir beaucoup de réservoirs, humain comme animal. Tant qu’on n’a pas de vaccin, on ne sera pas tranquille. D’ailleurs les anti-vaccins, on ne les entend plus, parce que là, on est face à ce que serait un monde sans vaccin.

C’est aussi vraiment une maladie de la mondialisation où voyager est devenu un droit. Les deux années précédentes, j’étais à fond dans la collapsologie (courant de pensée qui étudie les risques d’un effondrement de notre civilisation, NDLR) et j’ai arrêté parce que je devenais vraiment dépressif. Mais en fait, on est en plein dedans. On est vraiment arrivé aux limites de notre système occidental où chacun ne fait que comme il a envie. Ça ne peut pas marcher. Et moi, pour avoir eu la chance de voir des microsociétés fonctionner pendant les tournages de Médecines d’ailleurs, leur système est communiste. Ce sont des gens qui partagent tout. Il y a un chef. Il y a des règles strictes de société. Tu peux être exclu. Mais il n’y a pas d’intérêt individuel. Et nous, on est allé tellement loin dans l’intérêt individuel que les limites elles sont là. Il y a un mec qui a mangé un pangolin qui a été violé par une chauve-souris et le monde entier s’arrête. Ça remet tout en cause, dont le ski comme loisir et le loisir comme mode de vie.

Et je pense que malheureusement, dès qu’on va lever le truc, ça va repartir à fond. Alors que ce mode d’existence n’est pas tolérable. On est vraiment aux limites. Alors c’est agréable, moi je suis content et je pense que nous, les enfants des 30 glorieuses, on a vraiment eu la belle vie. Meilleure que celle de nos parents parce que les skis sont qu’en même mieux que ceux de nos parents. Merci en passant à Camille à Bruno, c’est à cause d’eux que j’ai arrêté le snowboard pour revenir au ski.

Le ski c’est aussi la mondialisation. On est des enfants gâtés parce qu’on subit des choses que l’on crée. On ne nous impose rien. On n’est pas obligé d’acheter des choses fabriquées je ne sais où. Est-ce qu’il ne faudrait pas se servir de cet épisode ? Est-ce que ce n’est pas le moment de relocaliser ? De plébisciter les circuits courts ? Et au niveau du ski, on doit s’interroger. Quand je vois les posts de ceux qui vont faire de l’héliski au bout du monde, est-ce que c’est vraiment pertinent ?  Je ne dis pas que si j’ai l’opportunité, je n’en profiterais pas. Pourtant, aujourd’hui on sort 100 millions de barils par jour, c’est la distance à la lune, je crois. C’est ahurissant. Je ne sais pas ce qu’on va laisser à nos gosses et je suis très inquiet. C’est sans doute pour ça que je prends plus le temps. Je fais plus de rando, moins de ski mécanisé, comme si j’aspirais à plus de lenteur.

Et quand je vois black crows, ce qu’ils ont fait avec le ski de rando ; ils ont vachement dynamisé le secteur. Le freeride avec des peaux, ce n’est pas eux qui l’ont initié, mais ils ont été des acteurs importants. J’aime beaucoup l’identité de black crows dans ce secteur, parce que tu peux enfin faire du ski de rando avec des fringues qui ressemblent à quelque chose et des skis qui fonctionnent. Ça, on vous le doit vachement. Et maintenant qu’on s’est mis à la rando grâce à vous, on ne peut plus y aller. C’est con (rires).

J’aime beaucoup l’image que Bruno véhicule. Je lisais récemment un article qu’il a écrit avec les photos de Layla sur leur vie confinée dans les Pyrénées. Je trouve que sa démarche, elle est presque contradictoire. Il vit de la mondialisation, tout en prônant une certaine décroissance. Mais il voyage avec son van, prend peu l’avion, fait attention à son empreinte. Il est beaucoup plus cohérent que la plupart d’entres-nous. C’est un mec qui ne véhicule pas que du business et j’aime beaucoup ça. Il est super-stylé. Il est tout le temps en montagne. Il y va. Il a une démarche globale et, avec Layla, ce qu’ils vivent, c’est inspirant. Mais j’aime aussi l’identité parisiano-montagnarde. Ce n’est pas un truc core montagne et c’est pour ça que votre marque est chouette.

Black Crows : Tu vas sûrement choper du matos avec tant d’éloges.

Bernard F. : Il y a intérêt… (rires)

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