Voyage au pays des orgueilleux

Anticipant le dernier sommeil du grand chef Paul Bocuse, Félix est parti explorer Lyon avec un appétit d’ogre ; puis, cherchant la Vérité, il a pris la direction de la ville lumière. Mais tout cela est arrivé bien avant le grand blanc, avant que Chamonix ne soit ensevelie sous des tonnes de neige, avant que Félix ne s’affranchisse des grandes questions existentielles et culinaires pour comprimer son horizon à une paire de spatules émergeant des flocons.

15 Novembre

Je me suis levé à 05:00.

J’ai fait du café́ dans le truc-en-métal qui appartient à ma colloc (je viens de me rendre compte que je n’ai plus de filtre de café́).

Je me suis installé́ à table et j’ai laissé trop longtemps le sommeil se dissiper.

Il me fallait quasiment faire mon sac et manger en même temps.

Petite note pour la prochaine fois : Faire ton sac à dos la veille du voyage, même si tu penses ne pas avoir besoin de grand-chose (contraste intéressant avec le sac à faire pour une journée de rando ou une nuit en refuge, quand tout est important…).

Départ en urgence à 6h40 du matin pour rejoindre Cham Sud. Je voulais tellement emmener les poubelles.

Arrivé à la gare routière sale et inconfortable de Lyon Perrache. Je la quitte le plus vite possible. Tout en écrivant cela, je me rappelle… Était-ce Juliette qui m’avait parlé de son sentiment de dégoût dans cette gare ? Dommage. En tout cas, je suis d’accord.

Ressenti les fantômes de notre passage ici avec des copains il y a trois ans.
Ciel gris quand je commence à marcher.
Très beau soleil l’après-midi un peu plus tard.

Flâner sans rien de prévu. Mange une baguette, boit un café́. Prise des photos de skateurs à Hôtel de Ville. Mes pieds m’ont emmené́ à l’église. J’ai transpiré, mais je suis en bonne forme. Hier je suis allé randonner avec mes skis au Col de Balme sous un vent à décorner les bœufs.
Je mange des pommes en admirant la vue.

Etudiants français là où je loge. Je bois du vin rouge – un cadeau de “bienvenue” offert par les tenanciers. Je me rends compte que Chamonix est devenu mon quotidien. Lyon m’est désormais étrangère.

Plus tard…

Liste des choses emportées :
5 t-shirts : blanc, noir, jaune, à longue manche, gris.
4 caleçons.
4 paires de chaussettes.
1 pull.
1 veste.
1 manteau.
1 casquette.
2 pantalons : noir, bleu.
1 paire des bottes.
1 portefeuille.
1 paire de clefs.
1 casque audio.
2 téléphones portables.
3 Batteries.
2 SD-cartes.
2 Objectifs : 16-50mm et 8mm Fish-eye.
1 carnet.
1 livre : Haruki Murakami, L’incolore Tsukuru Tazaki et ses années de pèlerinage.
1 brosse à dents.
1 déodorant.
1 bouteille d’eau.

Plus tard…
Je me souviens que les rues qui jouxtaient le restaurant où j’avais diné́ trois ans auparavant étaient animées. Il y avait un bar qui m’avait paru sympa. Ce soir, je vais aller me promener de ce côté-là, voir si c’est cool.

Plus tard…

Le bar s’appelle Café́ 203. Je me suis installé́ dans une table du haut et je bois du rouge. C’est aussi vivant qu’il y a trois ans. Beaucoup des Français. C’est drôle de penser un truc pareil. Nous sommes en France, après tout. Mais Chamonix, c’est autre chose.
Je rencontre aussi un Suédois de 25-ans qui n’a pas l’air très serein.
Le temps est passé si vite… De tout ça…
Jusque… ça ?

16 Novembre

Je me suis levé́ à 07:00. J’ai emporté Murakami au buffet du petit-déjeuner. Je me suis installé́ et bu du café́ jusqu’à̀ 10:00. J’ai demandé́ à la fille de la réception si elle connaissait des magasins de livres d’occasion. De la bonne bouffe. Un écrivain Lyonnais préféré́ ?

Cela s’est transformé en une longue conversation puis en une longue journée de balade dans le quartier de la Croix Rousse. J’ai fini Murakami et je l’ai laissé́ dans une boite sur laquelle était écrit : “Libraire Gratuite.”

J’ai commencé́ à lire Le Petit Prince sur les conseils de la réceptionniste qui s’appelle… Mila ? Je lui ai fait répéter deux fois, mais évidemment je n’ai pas bien écouté… Je lui ai laissé́ mon numéro de téléphone et le nom du restaurant dans lequel je travaille à̀ Chamonix – Elle avait prévu un voyage là-bas pour le nouvel an.

Cette ville est beaucoup plus rude que ce dont je me souvenais. SDF et pauvreté́ sont omniprésents.

Plus tard…

Je suis dans un… Bar de rock ? À Lyon.
J’ai commandé une bière qui est – malencontreusement – 1) Très sombre 2) Très acide.
Bordel.

18 Novembre

La campagne française ressemble beaucoup à̀ la campagne américaine, quand je voyageais en bus à travers le pays pour les matchs de football.
Ah, le temps.
Le temps, le temps.
Comme il file.

Je suis fier de moi, fier d’être un si bon voyageur en terre étrangère.
Lyon-Paris.
Gare de Bercy.
Notre Dame.
Le Louvre.
Comédie-Française.
Récupéré par une moto zigzaguant dans la nuit.
Vendredi, les terrasses sont pleines.
Les touristes sont si beaux ; ils ont acheté́ chapeaux et bérets. Ils lisent Le monde en buvant du café́ et du vin rouge.
Jägermeister et Red Bull chez mon ami. Merde.
On a pris le métro pour rejoindre une fête au Cercle Suédois.
J’aime bien le métro.
Quelqu’un m’a demandé́ s’il y a des choses qui me manquent à Stockholm ?
Le métro. J’ai l’impression d’avoir grandi dedans.

Plus tard…
1er. 9ème. 18eme. 10ème. 3ème.

Je marche…
Et marche…
Et marche…

Je me suis senti coincé dans le 9ème.
Perdu dans le 18ème.
J’ai bien aimé le 10ème. Vivant.
Tout le monde était là.
J’ai bu du Beaujolais Nouveau dans le 2ème.
En regardant les gens.
Besoin de trouver un magasin de livres.
Où sont-ils ?

19 Novembre

“Alors… Est-ce que je pourrais avoir… Une bavette… Saignante… Avec un demi de Grim Blanche… ?”

Ah… Je suis dans le 6ème. Chouette quartier.
Comme il est agréable de prononcer ces mots ici.
“Une bavette, s’il vous plaît. Et une bière.”

Plus tard…

Ah, voyager seul.
Seul, seul.
Qu’est-ce qu’un voyage réussi ? Que me restera-t-il de celui-ci ?

Trop tôt pour conclure… Mais j’apprends à voyager seul. Bien plus que je ne savais déjà.
Et j’ai appris des choses que je ne connaissais pas.
Combien de temps faut-il pour marcher du Louvre au Sacré-Cœur.
Et qu’il y a une très bonne brasserie à mi-chemin où l’on mange entouré des filles qui travaillent là.

Je sais qu’on peut marcher de Montmartre jusqu’au 3ème et s’arrêter pour un bon déjeuner à “L’Amuse-Gueule.”

Je sais que sur la Place Sartre-Beauvoir, on peut PRESQUE se sentir chez soi et payer un verre du vin PRESQUE aussi cher qu’à Stockholm.

Je sais qu’il y a plein de magasins de livre dans le 6ème et qu’ils sont – évidemment – fermés le dimanche.

Et que Chamonix, tout à coup est devenu chez moi.
C’est triste que je ne veuille pas habiter Stockholm.
Ah, Stockholm.
Stockholm, Stockholm.
Ma chère Stockholm.
Peut-être un jour ?

 

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