L’histoire commence en mars 2006, au sommet du téléphérique de la Meije où un petit village d’exposants et d’artisans s’organise autour d’un imposant tipi. Je vais bientôt rencontrer celui qui est à l’origine de ces très beaux skis en bois dont une paire a accroché mon regard aux Grands Montets l’hiver précédent. L’homme qui se tient devant moi avec sa modeste production de planches à neige a le regard et la gouaille du passionné qui maîtrise son sujet. Le logo du Rioboy marqué au fer rouge sur les skis s’apparente à un message entre initiés. On ne choisit pas la plus vielle représentation connue d’un skieur découverte au fin fond d’une grotte de Norvège par hasard. Une poignée de main ferme de travailleur, quelques mots et nous partons glisser. Il n’y a pas de voie plus directe pour connaître le coeur d’une personne et il nous a suffit d’une descente pour devenir amis.
Automne 2007, je monte à la capitale. Disposant d’un peu de temps, je décide de contacter Peter qui m’avait parlé de sont atelier sur Montreuil. J’étais curieux de visiter son “site de production” dans cette ville de banlieue encore populaire. J’allais y découvrir un monde enchanté. L’atelier avait pour vocation le bois cintré pour l’ameublement, la fabrication de sulks pour le trot attelé et… de skis nautiques. Une presse colossale bien différente de celles qui sont communément employées dans le ski trône au milieu d’autres machines. Les jets de vapeurs intempestifs provoquent la fuite d’une multitude de lapins angora. Me voilà plongé dans un univers à la Jean Genet tandis qu’on me présente Manuel, ouvrier d’origine espagnole monté à Paris pour fuir quelques persécutions Ibériques. À les écouter discuter de points techniques impénétrables, j’ai de plus en plus l’impression d’avoir été précipité dans un scénario. Je profite d’une accalmie dans la conversation pour demander la raison d’être de tous ces lapins. Peter me dit que lorsqu’il a récupéré l’atelier, un ami Malien lui a offert un lapin. Puis, plus tard, il a hérité d’une lapine. Quelques copulations frénétiques plus tard et le toit de l’atelier pour lieu de batifole, le nom des skis était trouvé. Plus tard dans la journée, nous avons été déjeuner pour quelques euros dans un foyer africain. J’étais alors très loin de tout.
Juillet 2010, par le jeu des rencontres et des énergies, Peter fini par s’installer à Chamonix. C’est un sujet que nous avions évoqué, pour lui comme pour moi et, malgré la magie de son mode de vie parisien, il était évident que sa petite entreprise ne pourrait s’épanouir et se développer qu’aux pieds d’une montagne. Alors, quitte à tenter l’aventure, autant choisir la plus prestigieuse, avec sa frénésie de passage et ses clients potentiels. Une fois le pas franchit, Peter s’est progressivement fait un nom. Dans un monde ou les marques profèrent leur image à tout va, l’authenticité est devenue une valeur recherchée. Il a bénéficié de beaucoup de presse et j’étais heureux de son succès. Les choses semblaient aller pour le mieux, jusqu’à ce que j’apprenne lors d’un voyage que le Moulin avait brûlé. L’image de Peter devant le brasier de son logement et de son atelier demeure installée comme un souvenir imaginaire.
Aujourd’hui, Peter a relancé une production et redonner vie à sa presse. La somme de travail et de courage dont il a fait preuve pour en arriver là n’appartiennent qu’à lui. Il a sauvé ce qui pouvait l’être. Un élan de solidarité de dizaines de chamoniards et d’amis lui a donné du souffle. Il a abrité la presse, nettoyé réparé, boulon par boulon. Il a construit et aménagé une petite roulotte pour pouvoir loger près de l’atelier. Chassant de son esprit la perte de toute sa matière première accumulée au fil des ans, il a commencé à reconstituer un stock de bois nobles. La presse, hors d’âge mais toujours vaillante est plantée face à la forêt, au-delà d’un mur éventré par l’incendie. Elle est en ordre de marche, fumant à tout va.
L’image du phénix qui renaît de ces cendre vient naturellement à l’esprit. Une bête farouche dont le savoir faire forgé par des heures de travail et une passion inébranlable façonne des engins de glisse hors-normes. Des planches nées bois et devenues entre ses mains des patins aux ADN uniques. La poésie est à la fois réelle et diaphane, elle suit la libre course de la culture glisse, Peter en fait partie.