Le syndrome de la vague parfaite

Maxence Gallot guette l’horizon. Là-bas, au large, se dessine un fantôme ondulant. Entre rêve et réalité, le cœur du surfeur bât pour une masse d’eau aux reflets fantasmagoriques.

Maxence Gallot

Quand, au petit matin, scrutant le large depuis le sommet de la dune, j’aperçois les lignes de l’océan, je frissonne. Je ne peux m’empêcher d’imaginer la mienne, cette vague qui ne cesse de dérouler dans mes rêves. Les lignes sont éphémères et se savourent au moment présent, mais chacun est libre de lire à travers les siennes. Aujourd’hui, il est question de réflexion sur une vague qui se la raconte depuis une éternité, emportant ses secrets dans le sillage de surfeurs émérites.

Maxence Gallot

La vague parfaite est le fruit de l’inconnu. Chère à notre imagination et propre à la combinaison des éléments naturels, elle demeure la résultante d’une équation complexe : être au bon endroit au bon moment. Aucun vaccin n’a été trouvé à ce jour. Les générations successives de surfeurs sont tous en proie à la même obsession. À l’image du film de Bruce Brown, “The Endless Summer”, qui témoigne des plus grandes découvertes surfistiques des années soixante, les histoires de vagues parfaites ne cessent de remplir des pages de magazines. Alimenter les discussions de fin de session, entretenir les mythes photographiques et flatter l’ego de ceux qui racontent l’avoir chevauché.

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Elle déroule un peu partout à la fois. Elle traverse les océans et les anecdotes plus ou moins réalistes, un peu exagérée parfois. Elle termine sa course sur un banc de sable Landais, un récif Indonésien aux dents acérées ou aux abords d’une jetée Californienne. On court tous après cette vague, et c’est à se demander si cette utopie n’existe finalement que dans la piscine du roi Kelly. Quel surfeur n’est pas arrivé un jour, après un voyage interminable, sur un spot magique pour s’entendre dire par l’Australien qui scrute le line up : “Guys, you should have been here yesterday, it was perfect.” (Les gars, vous auriez dû être là hier, c’était parfait, NDLR). Alors, qu’avons-nous loupé au juste ? Une vague qui ne nous était pas destinée ? La perfection est ennuyeuse dit-on. Mais ce rêve de surfer un jour “LA” vague et d’imiter des milliers de surfeurs qui l’ont déjà surfé nous obsède. Car cette vague, flirtant avec nos limites, nous guidera vers de nouveaux horizons.

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Cette part d’espérance vibre en chacun de nous et nous accompagne jusque dans les eaux troubles du sommeil. Alors, on continue à ramer sur le web. On surfe Google Map à travers cette vague technologique qui nous offre en un clic l’espoir d’un spot oublié. Dès que possible, on analyse les cartes de houle et le découpage linéaire de la côte. On mise un billet d’avion et on sacrifie un salaire avec le fol espoir de tomber sur elle, enfin. Évidemment, la chance fait partie du voyage. Le jour J, écoutant nos sens et nos connaissances, on file vers le large. C’est le moment de se jeter, de s’insérer dans son rythme et faire corps avec elle. Quand cette bombe nous occulte un moment du monde et nous libère de son souffle… Quand cette onde lisse se présente à nous au lever du soleil, on en redemande. Surfer la vague de ses rêves n’est pas une mince affaire, mais c’est un bon prétexte pour se remplir d’endorphines. Tout homme qui glisse vit pour ce moment.

Maxence Gallot

Le cœur à la dérive, on s’accroche aux expériences océaniques que seule la curiosité peut offrir pour maintenir le cap. Ces instants restent ancrés en chacun de nous. Et, même si, souvent, l’expérience est différente de ce qu’on avait imaginé, celui qui poursuit la houle en garde le souvenir.

Maxence Gallot

C’est aussi une addiction pour celui qui parie sans cesse. C’est comme de rejouer constamment sa mise au casino. À force d’insister pour gagner le gros lot, on risque parfois de se brûler les ailes au-dessus du bleu immense. Alors, plutôt que de ramer dans tous les sens, il faut parfois se rendre à l’évidence : ne pas regarder plus loin que le bout de sa planche a aussi du bon. Cette onde déferlant sous notre planche à l’instant T, il faut savoir la savourer. Sur ce, il est l’heure d’aller surfer, la vague parfaite attendra.

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