Interview Jochen Mesle :
rêveur engagé, chasseur de poudre isolée.

Rien n’arrête Jochen Mesle, ce sympathique scientifique affamé de flocons. Le skieur courageux aux mollets d’acier de finition Allemande vient agrandir la famille blackcrows. A vélo comme à ski, sa faim justifie les moyens. Il monte propre, descend raide et nous a tapé dans l’œil. Rencontre sportive avec notre nouvelle recrue à Munich.

Salut Jochen, as-tu passé un bon weekend ? J’ai cru voir sur Instagram que tu revenais d’un road trip bien glacé.

Oui carrément ! j’arrive tout juste d’un beau petit voyage à la force des mollets avec des conditions météo difficiles. C’était une belle semaine froide et humide comme on les aime au mois d’Avril en Allemagne avec mon grand ami et compagnon de cordée Max Kroneck, alors je me suis enfin reposé un peu ce weekend.

Tu peux nous parler de ton parcours et de la manière dont tu es arrivé à faire du ski tout l’hiver sous l’œil des caméras ?

Aujourd’hui je vis à Munich, j’ai 32 ans et je fais du freeride. Mais en fait je reviens de loin et j’arrive du plat. Quand j’étais gosse j’ai principalement fait du ski de fond jusqu’à l’âge de 17 ans ! Après ça j’ai bougé à Innsbruck et je m’y suis installé pour faire des études de physique. Ici j’ai commencé à skier régulièrement dans la pente et la poudre que j’avais inconsciemment cherché toute ma jeunesse s’offrait à moi en quantité et en qualité. Innsbruck est un véritable berceau de montagnards. Il y a une vraie ambiance alpine dans cette ville, les connexions se font vite et j’ai rapidement compris que j’allais skier énormément ici. J’ai progressé et je me suis investi un temps dans la compétition sur les qualifiers du Freeride World Tour. Pouvoir mixer mes études et le ski à réellement construit le skieur que je suis devenu. Aujourd’hui j’ai décidé de me concentrer sur la réalisation de films en freeski, j’ai mis de côté la compète après avoir beaucoup appris de ce milieu et fait des rencontres géniales. Je veux skier des montagnes inconnues, pousser mes limites en solitaire, me consacrer à 100% à la vidéo et inspirer le public en passant des messages écologiques dans nos aventures à ski.

Comment s’est passé ton hiver sous les flocons Allemands ?

J’ai passé la plupart de la saison en Allemagne. Honnêtement c’était cool, il a fallu s’adapter à une situation similaire à celle que vous connaissez en France. Pas de télésièges et un manque certain d’infrastructures. Mais on a eu de la bonne neige, du soleil et du froid et finalement on est en plein dans ce printemps hivernal qui semble vouloir durer. J’ai fait énormément de randonnée, c’était difficile concernant mes idées de films, on a dû reporter nos projets principaux à l’étranger à l’année prochaine. J’ai quand même prévu une petite expé de 10 jours au mois de Mai avec mon acolyte Arnaud Cottet qui skie aussi chez blackcrows sur le plus grand glacier des Alpes, c’est le glacier d’Aletsch en Suisse dans le canton du Valais. On veut explorer des lignes de ski engagées et faire du backcountry là-bas en solitaire et en itinérance. On a décidé qu’on dormirait en tente sur place pendant 10 jours. J’ai espoir que ce trip aboutisse et se passe bien parce que cet hiver à été compliqué… on a privilégié le ski local autour de chez nous et c’était une bonne chose de redécouvrir les sommets environnants avec une autre approche.

Un autre métier en dehors du ski ou tu te concentres uniquement sur ta carrière ?

J’ai étudié la Physique à Innsbruck et je travaille à temps partiel en tant que scientifique dans ce domaine. J’arrive à organiser mon temps pour me libérer l’hiver afin de skier un maximum et travailler davantage en saison estivale, le plan de rêve pour moi. Je suis heureux d’arriver à mélanger les deux univers et créer un équilibre qui me fait vivre, manger et me rend heureux. Ces trois dernières années, j’ai fait beaucoup de travail de recherche sur les panneaux solaires. Ça donne des idées à explorer pour nos futurs trips en vélo-ski.

Tu fais d’autres sports l’été ou tu skies toute l’année ?

Je ne suis pas vraiment attiré par le ski d’été sur les glaciers, j’aime déconnecter de la neige et m’en éloigner pour revenir encore plus excité l’année suivante. Pour moi, l’hiver doit rester sur le créneau Décembre/Mai. L’été je fais de l’escalade, du vélo de route, et du surf au Maroc quand je trouve le temps. On peut surfer en rivière à Munich mais ce n’est pas vraiment mon truc, je suis beaucoup plus attiré par l’océan. Ça fait un moment que je n’ai pas surfé d’ailleurs, et les vagues commencent à me manquer sérieusement, j’espère y retourner très bientôt !

photo @maxkroneck

D’après les films que j’ai adoré regarder te concernant, ta démarche à long terme semble vraiment s’inscrire dans l’aventure d’endurance et de proximité ces derniers temps. Le vélo-ski, c’est ton nouveau grand truc ?

Oui c’est clair, ce concept me plait énormément, je trouve ça si pratique que j’ai décidé de joindre l’utile à l’agréable. J’apprécie la vitesse d’évolution à vélo. On se déplace en autonomie, de manière écologique, sans détruire notre environnement et suffisamment vite pour rallier une montagne à une autre en fonctionnant en étapes. On prend le temps de skier le jour suivant, on repart le lendemain en ayant le sentiment d’être acteur de nos déplacements. Ça demande de l’organisation et de la motivation c’est sûr mais c’est aussi une fierté que de voyager propre. Et en même temps on est assez lents pour prendre le temps d’observer les paysages que l’on traverse, voir la météo changer de visage, et faire des rencontres improbables avec des humains authentiques. Ces dernières années, avec Max Kroneck nous apprécions vraiment la combinaison du ski et du bikepacking. Avec la situation Covid cette année, j’ai l’impression d’avoir pris la bonne décision concernant mon mode de voyage. On a traversé l’Allemagne d’Ouest en Est de Bodensee à Konigsee, et on a quasiment parcouru l’ensemble des montagnes du sud de l’Allemagne. C’était parfois compliqué d’être en phase avec les restrictions sanitaires, les conditions météo et la neige mais on a eu de très belles journées et beaucoup d’inspiration pour nos futures explorations à la maison.

photo @maxkroneck

Est-ce que tu grimpes avec un vélo électrique parfois ?

Non c’est que du muscle ! On veut privilégier 100% d’autonomie, et on souhaite défendre l’idée d’utiliser notre propre énergie. Nos vélos pèsent en moyenne 35 à 40 kilos donc la montée tu la sens c’est clair. Mais dans les descentes et sur le plat ça ne pose pas de problème, on commence à avoir quelques kilomètres dans les pattes alors on s’est habitué je suppose. Disons que la récompense de skier en solo sur des sommets sauvages loin de tout en vaut la peine. Recharger des batteries de vélo tous les jours en itinérance ne serait pas envisageable et le seul poids que j’accepte de rajouter sur ma cargaison c’est le matos vidéo et photo ahah. On a tout de même la chance d’avoir un caméraman qui nous accompagne un tiers du temps sur nos voyages, Max Kroneck et moi-même travaillons avec El Flamingo films chaque année. Ils sont là pour filmer les moments clés, les principaux sommets de nos aventures à ski et ça fait plaisir de pouvoir compter sur eux dans ces moments-là, on évite ainsi de transporter des téléobjectifs de 3 tonnes et on peut se concentrer uniquement sur le ski.

photo @maxkroneck

Je conseille vraiment à tous les passionnés d’aventure profonde de regarder “Ice and Palms” qui retrace ton vélo-ski trip avec Max Kroneck de Durbheim à Nice à la force des mollets. Peux-tu nous parler de ce magnifique projet ? Combien de bornes à vélo et de dénivelé en ski ?

C’était un vrai rêve de gosse de faire ce voyage. L’idée était de partir 6 semaines avec Max de notre village natal à Durbheim et traverser 6 grandes régions montagneuses de l’Allemagne, à l’Autriche, à la Suisse et la France en ralliant la ville de Nice en autonomie à la force des mollets avec nos vélos, skis sur le dos en explorant les plus belles montagnes des Alpes sur le chemin. 1800 kilomètres parcourus et 35000 mètres de dénivelé positif à ski documenté par El Flamingo Films. On y a réfléchi très longtemps. C’était un peu comme replonger en enfance. Partir de la maison et voir jusqu’où on pouvait aller en prenant la direction de notre instinct. C’était très spontané comme projet. Quand tu dois te farcir les cols fermés avec le vélo sur le dos sous la pluie dans de la neige poudreuse bien humide tu te demandes pourquoi tu fais ça parfois haha. On en a bavé, je ne dis pas le contraire, les nuits n’étaient pas toujours faciles, Max est tombé malade, on a hésité à continuer mais on voulait vraiment aller au bout. La douleur est présente sur des distances comme celles-ci, l’organisation et les paris sur la météo sont de mise mais l’expérience et les souvenirs que je garde de ce trip sont magiques. Je cherche toujours la parfaite équation entre la neige et l’endroit où je me trouve, et c’est sûr que le vélo complique les choses si on est pressé d’atteindre un sommet le jour suivant mais on a aucuns regrets, ça fait partie de l’aventure. Le passage sur la barre des Ecrins dans les Hautes Alpes c’est la journée qui m’a le plus marqué je pense, on pouvait apercevoir toutes les montagnes que l’on avait parcouru derrière nous et la méditerranée devant nous, c’était juste sensationnel.

Ice & Palms (Full Movie) from El Flamingo Films on Vimeo.

Est-ce que limiter son impact environnemental dans tes voyages est une prise de conscience récente ou découle d’un vrai mode de vie ancré en toi depuis toujours ?

Oui je pense que c’est quelque chose avec lequel j’ai grandi, mes parents m’ont montré la voie. Apprécier les environs autour de chez moi, respecter ce qui nous fait rêver pour pouvoir en profiter encore dans 50 ans. Tout ça à fait du chemin dans ma tête et j’ai suivi à mon tour ce mode de vie, j’aime réfléchir à la façon dont je peux apprécier sans surconsommer, sans prendre l’avion, sans aller à l’autre bout du monde pour trouver la même neige qu’à la maison.

Tu as donc un prochain film en préparation pour l’hiver 2022 alors ?

Je ne veux pas trop m’étaler sur le sujet pour le moment mais on aimerait repartir en vélo-ski rando avec Max Kroneck et El Flamingo à travers l’Europe pour découvrir des sommets inexplorés l’hiver prochain. Cette fois on aimerait axer notre film sur la culture des populations locales que l’on rencontrera en montagne et bien sûr se faire plaisir sur la neige en skiant des sommets éloignés, parfois oubliés ou inconnus du monde du ski. On croise les doigts pour que la situation sanitaire nous le permette…

photo @maxkroneck

Comment s’est passée ta rencontre avec blackcrows ? Sur quel modèle tu glisses en ce moment ?

blackcrows m’a toujours attiré, j’étais en recherche de nouveaux sponsors et mon copain Tom Leitner m’a décrit son expérience avec la marque et l’équipe. Je me suis mis en contact avec Flo Bastien et le contact est tout de suite passé, il m’a attiré dans ses filets. Je suis fier de représenter cette grande famille de passionnés, il y a vraiment des personnalités de la montagne que j’admire ici et avec qui j’aimerais beaucoup partager sur les skis à l’avenir, ça me donne déjà plein d’idées pour la suite ! Je skie beaucoup sur le Atris, c’est devenu mon pain quotidien et je m’en sers aussi en randonnée. Le Anima est juste génial pour engager des grosses lignes plein badin, et le Nocta est mon jouet favori pour les jours fun dans la grosse neige profonde, j’ai vraiment adoré sa maniabilité et sa portance.

Comment tu te vois dans vingt ans ? Vers quoi veux-tu t’orienter à l’avenir ?

Je n’ai pas vraiment l’âme d’un coach et je n’ai pas de leçons à donner mais j’espère inspirer des gamins à poursuivre l’aventure écologique à travers mes films. Je pense que je continuerais de vivre avec passion, c’est ce qui anime mes journées et s’il y a encore de la neige je serais sur les skis sans aucun doute. je travaillerai sans doute en tant que scientifique. On peut déplacer des montagnes en les respectant, on peut faire des choses qui ont du sens, on n’est pas obligés de tout foutre en l’air sur cette belle planète bleue. C’est le message que je souhaite délivrer pour les générations futures.

photo @maxkroneck

 

Un échange fait et recueillit par Maxence Gallot

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