Le sucre rend ivre, l’ivresse fait vivre.

La route file, dépassant l’itinéraire en trombe, s’enfonçant toujours plus loin vers l’inconnu. Maxence Gallot aime ce sentiment d’espace sans feuille de route, cet engagement physique à la rencontre de lieux et d’êtres surgissant d’un horizon incertain.

Quand j’envisage d’aller découvrir un nouveau pays, une des premières choses qui m’intéresse est de savoir si on peut y explorer des sommets. J’étudie avec entrain l’espoir de crapahuter une pente un peu abrupte, même quand règne une chaleur torride. J’ai sans doute trop envie d’atteindre les hauteurs, de surplomber le monde et de voir ce qui se passe d’en haut. Je crois que c’est addictif. C’est ainsi qu’Audrey et moi-même avons décidé de tracer la route une fois de plus. Les road trips n’ont pas de prix. De vieilles montagnes nous attendent, des vagues interminables aussi.

Maxence Gallot

D’autant que je me souviens, il faisait très chaud, sans doute trop pour moi, mais pas pour mes guiboles de montagnard qui avaient soif d’aventures. Désert étouffant, pierres rouges, pas une fleur. L’ombre devient une recherche instinctive. Notre solitude n’est pourtant qu’une abstraction. Il y a toujours un berger bien caché qui détale de nulle part quand tu croyais que tes cris résonnaient creux dans cette immensité. Cet air sec et étouffant fait ronfler le moteur, submerge tes pensées et envahit ta lucidité. Qu’est ce qui a bien pu nous traverser l’esprit pour en arriver là ? Sûrement la fuite des factures, d’une vie bien réglée, d’un automne bien trempé dans le sud-ouest français et l’envie d’aller se perdre là où on ne maîtrise plus rien. La seule certitude, comme dans tout exil vers l’inconnu, c’est que l’imprévu nous péterait tôt ou tard à la gueule.

Maxence Gallot

Quelques jours avant de se retrouver face à cette beauté brute et isolée, mon van nous lâchait. Fuite d’huile, boîte de vitesses qui part en vrille, était-ce un signe du destin ? Changement de voiture la veille, départ en panique pour Barcelone, le quai du port est atteint à 3 h 17 du matin. Vingt-quatre heures de bateau nous attendent. Entouré d’énormes cametars chargés comme des mules et rouillés jusqu’à l’os en partance pour l’Afrique profonde, c’est ce bon vieux Kangoo de plombier au toit bleu qui nous a menés jusqu’ici. “On est les derniers locataires qui décollent”. Longboards accrochés sur la galerie et freins qui grincent à l’approche de chaque nid-de-poule, nous voilà embarqués dans le flow du voyage. Chaque jour renforce un peu plus notre décision d’avoir tenté le coup. Alors oui, on a sué pour arriver jusqu’ici, parce que ces milliers de bornes sont parfois dures à avaler, mais n’est-ce pas ce que l’on cherchait ? La liberté d’un road trip est sans égale. Les moments difficiles nous construisent et engendrent les meilleures souvenirs.

Maxence Gallot

Atteindre les montagnes marocaines, c’est comme de se retrouver dans une capsule hors du temps. Ici, les peuples nomades s’adaptent à cette terre âpre et mystérieuse. Ceux qu’on a rencontrés vivaient au milieu de nulle part avec trois fois rien et semblaient peu envieux de notre montre, chaussures ou lunettes de soleil. Observer la vie sauvage, contempler l’espace qui nous est offert, grimper au point culminant, s’asseoir en silence et admirer les vastes étendues arides. Marcher dans cet étincelant paradis, des heures durant, se demander ce qu’on va bien pouvoir faire de sa vie quand on sera vieux, se rendre compte que c’est en pensant à demain qu’on devient vieux, se recentrer sur cet environnement, en chier un petit peu avec ces 45 degrés sur une nuque luisante.

Maxence Gallot

Chaque goutte de sueur donne envie de descendre une bouteille d’un litre. Mais ici on ne boit pas d’eau. Le thé est plus désaltérant quand on crève de chaud paraît-il. C’est sans doute pour ça qu’on est devenu accro. La coutume est de le déguster avec des kilos de pains de sucre à te déchausser les dents. C’est là-bas que j’ai appris que le sucre pouvait rendre ivre. Je n’y aurais pas cru. Mais notre ami Afid nous a convaincus tant il titubait et semblait perché après avoir descendu sa dixième tasse de la journée dans son petit resto aux tajines magiques. C’est chez lui qu’on a bu le meilleur thé à la menthe du Maroc. L’ivresse a fini par nous gagner en écoutant ses histoires hilarantes mâchées d’un français hasardeux. Afid, c’est aussi grâce à toi qu’on reviendra.

Maxence Gallot

4 900 kilomètres plus tard, les freins et les mollets en chewing-gum, le Maroc nous laisse un souvenir impérissable. Il est désormais temps de rebrousser chemin. La notion de distance s’efface et le souvenir prend place. ll y a des moments qu’on voudrait éternels. L’authenticité de la vie me pousse chaque jour à l’apprécier un peu plus et à lui en être reconnaissant. Dans notre société où tout glisse à deux cent à l’heure, il me paraît évident de se souvenir d’une chose : le plus grand luxe que l’on puisse s’offrir, c’est de prendre du temps pour soi, de mettre deux ou trois sucres dans son thé et de shooter de la pellicule pour figer ces souvenirs à vie.

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