Interview Anne Lassman-Trappier – Présidente d’Environn’MontBlanc

Pour faire face à la pollution atmosphérique dont souffrent les vallées autour du Mont Blanc, des citoyens prennent les devants et mènent la lutte. Parmi ceux-ci, Anne Lassman-Trappier, présidente d’Environn’MontBlanc* et membre du directoire de France Nature Environnement. Fraîchement décorée de la légion d’honneur pour son implication dans le combat pour un air retrouvé, elle a accepté de nous éclairer sur ce qui se joue sous notre nez.

*Environn’mont blanc est une association créée en 1996 pour le respect de l’environnement face aux nuisances engendrées par la route d’accès au tunnel du Mont-Blanc. Depuis sa première victoire contre un projet d’aménagement routier à l’entrée du village des Houches, en passant par les grandes manifestations et le référundum de 2001 contre la réouverture du tunnel du Mont Blanc, cette association n’a cessé de défendre la qualité de l’air dans la région du Mont Blanc. Aujourd’hui avec la campagne Inspire, elle sort de son cadre associatif traditionnel pour devenir une voix éco-citoyenne qui concentre la volonté d’action des habitants.

Black Crows : On voit dans la presse des articles s’en prenant aux feux de cheminées, alors qui est le plus responsable, le trafic routier ou le chauffage individuel ?

Anne Lassman-Trappier : Sur la pollution de l’air, il y a malheureusement des exagérations et ça ne sert à personne. Les concentrations de pollution sont très liées à la topographie, le fait qu’on est en vallée, et à la météorologie, le fait que l’hiver, il n’y a pas de ventilation dans la vallée. L’été, de brises brassent l’air et, du coup, on respire mieux. L’hiver, par contre, il y a comme un couvercle qui se forme sur les vallées. Ici, à Chamonix, on a des dépassements concernant un polluant qui s’appelle le dioxyde d’azote, et c’est un polluant routier à 80%, une pollution directe des moteurs diesel. Dans la vallée de l’Arve, c’est plutôt les particules fines et le benzo(a)pyrène qui sont en cause, notamment dégagés par l’usine sous le viaduc.

Black Crows : C’est quoi cette usine ?

Anne Lassman-Trappier : C’est une usine qui s’appelle SGL Carbon qui produit du carbone et d’autres choses. Il y a quelques années, une campagne de mesure a été réalisée à Chedde et le benzo(a)pyrène était 4 fois au-dessus de la valeur cible. Depuis, de nouveaux filtres ont été installés, mais on reste encore deux fois au-dessus de cette valeur cible.

Black Crows : Donc à Chamonix c’est surtout le routier qui nous asphyxie, pas l’habitat ?

Anne Lassman-Trappier : Le polluant en dépassement des valeurs limites est le dioxyde d’azote. Concernant les particules liées au chauffage, on est sur une courbe descendante car on a beaucoup remplacé nos chauffages. Ceux qui se chauffent au fuel sont passés à des chaudières à condensation. Quant aux chauffages au bois, beaucoup de gens ont installé des poêles efficaces. Il y a vraiment eu un effort citoyen. Par contre, le dioxyde d’azote est lié d’une part à ce qui passe au tunnel du Mont Blanc et d’autre part à nos diesels à nous. En France, on nous a fait croire qu’il était indispensable de passer au diesel et maintenant on a beaucoup trop de diesel et la santé publique en est très affectée. La tendance s’inverse actuellement, mais ça met du temps de changer un parc automobile…

Black Crows : Et concernant les alternatives par le rail, censé désengorger la vallée du trafic routier international ?

Anne Lassman-Trappier : Il y a effectivement une solution qui existe puisque qu’il y a l’Autoroute Ferroviaire Alpine, sur la ligne historique de Modane entièrement rénovée. C’est un service où on charge les camions ou remorques sur les trains. On a dépensé 1 milliard d’euros d’argent public pour rénover cette ligne, or il y passe moins de trafic maintenant qu’avant les travaux. Aujourd’hui, il n’ y a 4 passages par jour sur l’Autoroute Ferroviaire car elle est toujours en phase expérimentale. Evidemment, il faudrait qu’il y ait plus de passages, une dizaine par jour dans chaque sens comme cela avait été prévu au lancement de l’expérimentation en 2003. Il faudrait même charger beaucoup plus en amont des Alpes, à Ambérieu voire à Dijon. L’intérêt ce n’est pas seulement de faire le saut de puce des Alpes, c’est de développer le ferroviaire sur de longues distance, pour que l’on pollue moins sur toute la ligne. Nous demandons l’augmentation du trafic sur cette ligne, or il y a clairement un blocage.

Black Crows : D’où viennent ces blocages ?

Anne Lassman-Trappier : Des lobbies routiers. C’est à dire, les sociétés d’autoroute, les sociétés pétrolières ou encore les transporteurs routiers qui ont tout à y gagner à continuer à faire de la route. Et puis, à mon avis, il y a aussi le lobby de la LGV Lyon-Turin parce qu’ils ne veulent surtout pas qu’on s’aperçoive qu’il y existe des capacités ferroviaires qui ne sont pas utilisées pour la traversée des Alpes. Nous essayons de faire bouger tout ça. On n’a pas besoin du Lyon-Turin pour charger des marchandises sur des trains, il faut commencer tout de suite.

Black Crows : Mais le Lyon-Turin, c’est aussi du fret ?

Anne Lassman-Trappier : La construction du Lyon-Turin est prévue en plusieurs phases et le fret n’est pas la priorité. D’ailleurs je pense que la phase du fret ne se fera jamais. Ils feront un TGV et ils seront ensuite à court de financement pour faire la ligne de fret. Il ne faut pas rêver. Pour la ligne fret, il faudra creuser un nouveau tunnel, car si la ligne passager va passer vers Chambéry et le tunnel de l’épine, la ligne fret passera plus loin vers Grenoble sous la Chartreuse. Je suis persuadée qu’il n’y aura pas le même lobbying pour le fret. Le Lyon-Turin, nous n’en attendons plus rien. Il y a 10 ans, on a voulu y croire. Maintenant, on se rend compte que c’est un leurre car on ne pourra jamais financer une telle ligne de fret, sauf si on endette énormément la France, l’Italie et l’Europe.

Black Crows : Quelles sont les solutions pour transporter le fret à travers les Alpes ?

Anne Lassman-Trappier : C’est la troisième fois en 12 ans que l’on demande un débat public sur les traversées alpines pour déterminer ce qu’il faut construire ou ne pas construire. Il faut envisager cela de manière cohérente car une multitude de projets existent dans les Alpes : le doublement du tunnel du Fréjus routier qui est en cours, l’Autoroute Ferroviaire Alpine à développer, le Lyon-Turin… Des gens se battent aussi pour avoir un tunnel ferroviaire un peu plus bas vers le Montgenèvre et il y a le projet de LGV PACA, qui irait jusqu’à l’Italie et le doublement en cours du tunnel de Tende dans la vallée des Merveilles. Il y a aussi la méditerranée qu’on n’utilise pas assez. Il y a énormément de trafic entre la péninsule ibérique et l’Italie et une partie de ce fret pourrait aussi passer par les ports. Un débat public global est nécessaire, mais à chaque fois qu’on le demande, il est refusé. Quelque part ça gêne, parce les acteurs s’inquiètent de leur petit pré carré, de leur projet qu’ils ne veulent pas sacrifier. Les promoteurs ne sont pas capables de s’entendre. On n’arrive pas à avoir de cohérence, c’est pour ça qu’il faut agir au niveau national.

Black Crows : Donc ce sont des problèmes d’ordre national, voire international, nos élus n’ont pas de compétence sur ce domaine.

Anne Lassman-Trappier : Oui, ce qui passe au tunnel du Mont Blanc ça n’a rien à voir avec nos élus locaux, même le préfet n’a pas beaucoup de pouvoir là-dessus. Ça se décide au niveau du ministère de l’écologie, des transports, des finances ces sujets-là, au plus haut niveau de l’état. Donc il faut une véritable volonté à ce niveau-là.

Black Crows : Entre Environn’MontBlanc et France Nature Environnement, comment se coordonnent les actions ?

Anne Lassman-Trappier : Avec Environnement’MontBlanc, nous agissons surtout au niveau local, donc par exemple on essaye de favoriser le vélo comme mode de déplacement. Ce n’est pas évident puisque les élus du pays du Mont-Blanc, quand on leur parle de vélo, pensent vélo-loisir, voie verte… Mais les choses changent progressivement, comme avec cette nouvelle piste cyclable réalisée au niveau des Bossons, c’est un début. Et puis on agit aussi au niveau départemental et préfectoral sur les questions générales de qualité de l’air avec le Plan de Protection de l’Atmosphère (PPA). Nous avons participé activement à sa rédaction et maintenant nous faisons pression pour qu’il soit mieux appliqué. On est toujours sur le dos du préfet pour essayer de faire bouger les lignes. Avec France Nature Environnement, il s’agit plutôt d’un travail de lobbying et de plaidoyer au niveau national, sur des questions comme le fret ferroviaire ou encore la fiscalité écologique.

Black Crows : Donc au niveau local, la solution c’est le vélo ?

Anne Lassman-Trappier : Le vélo a vraiment une part à jouer dans la panoplie de solutions de mobilité. En France, aujourd’hui, seulement 3% de nos déplacements se font à vélo. Si on passait à 10% d’ici 5 ans, imaginez les gains réalisés… À chaque fois c’est une voiture en moins, des émissions considérables en moins. Avec la campagne Inspire, on travaille avec l’opinion publique, parce que plus on sera nombreux à demander une meilleur prise en compte du vélo comme mode de déplacement, plus on sera écoutés. Si des dizaines de citoyens disent à leurs maires qu’ils veulent pouvoir se déplacer à vélo, pas uniquement sur une voie verte de loisir, mais tous les jours pour aller travailler et bien je pense qu’à force nous serons écoutés.

Black Crows : Depuis le lancement de la campagne Inspire, le succès des manifestations à vélo, on sent que les habitants s’impliquent davantage…

Anne Lassman-Trappier : Les gens s’inquiètent de la mauvaise qualité de l’air dans la vallée de l’Arve et au pays du Mont Blanc, alors avec Inspire, on a voulu rassembler ces gens, leur donner une voix. Il faut que l’inquiétude soit visible, il faut que les gens soient visibles. Inspire c’est une très belle réussite parce que très rapidement nos autorités se sont rendues compte qu’il y avait beaucoup de monde derrière la poignée de représentants associatifs qui participent régulièrement aux réunions et rencontres avec les décideurs. Et puis en même temps, je pense que cela a galvanisé la mobilisation, les gens ont réalisé qu’ils n’étaient pas tous seuls, qu’il y avait beaucoup de gens qui voulaient aussi agir. On en a assez de se plaindre, il faut agir. Inspire permet cela.

Black Crows : Finalement, c’est de la responsabilité de chacun.

Anne Lassman-Trappier : Il y a des solutions qui sont les nôtres. Choisir comment on se déplace, c’est notre choix. Après, il faut bien sûr que les transports en commun soient efficaces. Sur la question de l’habitat, du chauffage, c’est aussi un choix personnel, et puis on peut agir également sur sa consommation. Eviter d’acheter des produits qui viennent de dix mille kilomètres, essayer d’acheter local quand on peut. Ce n’est pas l’exemplarité qu’on veut promouvoir, mais que chacun prenne conscience qu’il peut réduire un petit peu ses émissions.

Black Crows : Quels sont les prochaines actions de votre campagne Inspire ?

Anne Lassman-Trappier : On travaille sur un projet extrêmement ambitieux pour une association de notre taille, la création d’un web documentaire interactif avec pour objectif de donner à chacun, sur internet, des pistes pour agir pour la qualité de l’air. Il en cours de réalisation et son objectif est de marier l’explicatif et le concret. Il y aura des petits films, des sujets bien délimités, avec toujours cette interaction avec le spectateur et des ponts entres les différents sujets, tels que l’habitat, les transports, le tourisme, la consommation. A cela s’ajouteront des paroles d’experts, des témoignages de gens impliqués, des scènes jouées par une comédienne professionnelle. Chacun regarde ce qu’il veut, sans souci de linéarité, peut découvrir et approfondir des sujets, en survoler d’autres, ou encore trouver des informations pratiques, précises, avec des liens et encadrés complémentaires.

Le site du documentaire.
Le site d’Environn’MontBlanc.
Le site France Nature Environnement.

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