Des hommes et du poisson

Bruno Compagnet plonge en eaux troubles et partage son inquiétude et son bonheur de surfer un spot inconnu et infréquenté. Sur la rive, Layla garde un œil sur l’issue du combat.

Je n’ai pas bien dormi la nuit dernière. Ce n’est pourtant ni le matelas, ni le mal de dos. J’ai garé le camion comme j’aime, au plus près de la plage, et c’est peut-être le grondement des vagues venant se fracasser sur les rochers couverts de moules et d’oursins qui inhabituellement m’inquiète.

Layla Jean Kerley

 

Certaines mises à l’eau sont plus compliquées que d’autres. Se retrouver face à des vagues magnifiques qui déroulent longtemps sans personnes pour les surfer n’a rien de rassurant. D’autant plus étrange qu’on se trouve juste à côté d’une grande ville et qu’il devrait déjà y avoir quelques despérados sur les flots.  Il y a aussi le courant matérialisé par la mousse blanche et l’agitation à la surface de l’eau avec une lecture finalement assez simple, mais tant qu’on ne s’est pas lancé au milieu de ce dédale de rochers, difficile d’être sûr de quelque chose. Je cherche un détail, un signe qui m’indiquerait que cette vague n’est pas surfable. Non.

Je ne trouve rien à part peut-être les filets de pêche matérialisés par de petits flotteurs blancs. L’idée de faire mon canard en eau trouble dans cette zone qui m’est complètement inconnue, ou pire de me faire ramasser par une grosse série et de me retrouver emmêlé dans les mailles d’un des filets que j’ai repéré la veille m’angoisse et la nuit ce sentiment est exacerbé. Rien ne m’oblige à y aller… Rien si ce n’est ces vagues parfaites qui déroulent très proprement en pleine mer. Le truc dont tous surfeurs rêve… Le saint Graal du surf trip.

Layla Jean Kerley

Déjà 6 h 30, le jour va se lever. La ligne d’horizon sur la mer s’éclaircit et la légère brume maritime tourne au rose clair. Je regarde les vagues, la marée est trop basse mais je note immédiatement deux rochers que je n’avais pas vus la veille. Rassuré, mais aussi un peu déçu car ça a l’air beaucoup plus petit que ce qui était prévu. Je me fais un café et allume un bâton de bois saint (encens naturel) dont j’adore le parfum et réveille Layla.

On en est à notre troisième tournée de café quand je remarque un petit bateau de pêche harcelé par une armada de mouettes. J’ai eu un moment l’espoir de le voir retirer les filets, mais il n’en est rien et sa taille me fait réviser mon jugement sur la taille des vagues.

J’ai bien waxé ma planche, puis enfilé ma combine visqueuse et puante, et je cours maintenant sur la plage… Si mon calcul est bon, je devrais passer entre deux séries, si je me suis trompé…

Layla Jean Kerley

Le courant me prend immédiatement. L’eau froide et l’adrénaline m’ont complètement réveillé et je rame comme un taré pour sortir de l’eau blanche. J’ai du mal à y croire mais je suis passé comme une fleur et j’essaie maintenant de me placer avec mes repères, mais le line up doit bien faire un bon terrain de tennis. Trop sur l’épaule, je loupe mes premières vagues et décide de rentrer plus à l’intérieur pour me faire ramasser vilain par une grosse série. La mousse doit bien faire un bon mètre cinquante. Je ne tente même pas le canard et plonge directement en abandonnant ma planche… Et là je me fais vraiment brasser. Trois vagues plus loin, j’ai bien dérivé mais tout va bien et je remonte avec une idée un peu plus précise du bon placement.

Layla Jean Kerley

Le take-off est difficile parce que mou au début avant de se creuser d’un coup puis de se tendre immédiatement. J’ai réussi à partir, à me lever et à choper une trajectoire qui me permet de me mettre en sécurité sur l’épaule ou je monte et descends pour varier la vitesse de ma planche. Puis la vague ramolli et je sors en souriant et en levant le bras en direction de Layla. Une session comme celle-ci ne s’oublie pas et justifie des heures de route, de recherche et d’espoirs déçus. Tous ces moments de désillusion qui exacerbent les rares moments de réussite et les petites victoires personnelles. Après des mois ou bien des années, elles demeurent les souvenirs que notre mémoire sélective conserve bien au chaud et dont l’évocation sert de carburant pour de nouveaux rêves.

 

Articles associés


la meilleure herbe


L’amour au temps du Corona