Bernard Rosow : quête perpétuelle

Originaire du Vermont, Bernard “Bernie” Rosow est l’un de ces desperados des montagnes dont la quête éperdue a pour seul répit un manteau de cristaux sur une surface inclinée. Indomptable, incapable de rester en place et donc de travailler si les conditions sont bonnes, il a trouvé une forme de stabilité en devenant opérateur de ratrack dans la station de Mammoth en Californie. Ce travail nocturne lui permet d’être libre toute la journée et ainsi d’être en phase avec son principe de vie, le ski.

La naissance d’une passion

Bernard a grandi dans la petite ville de Williamsville, au sud du Vermont. Ses parents, passionnés de ski de fond, l’ont mis sur les planches dès ses 2 ans et c’est à l’école primaire qu’il découvre le ski alpin. “La petite station de Maple Valley se trouvait à 5 minutes de notre maison et était ouverte le soir. Mes parents me déposaient là-bas après l’école et me laissaient skier jusqu’à l’heure du lit. Je me rappelle faisant mes devoirs dans le chalet en bas des pistes.”

Enfant tonique, sa passion pour les sauts et la vitesse lui ont rapidement attiré les foudres des autorités. Afin de canaliser son énergie, son père a alors décidé de l’inscrire dans les cours de saut à ski. “J’ai fait de la compétition en combiné nordique jusqu’à l’âge de 13 ans. Mais j’étais toujours inscrit en ski alpin, alors pendant quelques années, je cumulais l’entraînement de ski de fond après l’école, puis l’entraînement de saut et enfin j’enchaînais avec l’entraînement d’alpin. Tout ça plusieurs fois par semaine. Et quand je n’avais pas entraînement, j’allais skier dans les bois derrière chez moi ou je partais construire des sauts dans un champ en bas de la route.”

C’est en dernière année de lycée que les choses se sont précipitées. Au cours d’une sortie scolaire à Stratton Mountain (pour la petite histoire, première station à autoriser la pratique du snowboard, NDLR), il rencontre le photographe Jeff Winterton et commence à shooter avec lui. “Il m’a demandé ce que je comptais faire après le lycée et je lui ai répondu que je voulais partir dans la station d’Alta, en Utah. Le hasard a fait qu’il avait travaillé au Alta Ski Lodge pendant des années, alors il les a appelés et m’a dégoté un boulot. Quelques mois après mon bac, je suis parti là-bas et j’ai commencé ma vie de skieur vagabond. C’était en 1999.”

Le ski avant tout…

Quand on n’est pas fortuné, la vie de skieur vagabond implique de travailler, une contrainte dont Bernie n’avait pas totalement mesuré l’ampleur. Incapable de rester en place quand les conditions sont bonnes, il perd la plupart de ses boulots.

“J’étais une sorte de punk. En deux saisons, je me suis fait virer de tous les lodges d’Alta, alors j’ai décidé de bouger sur Mammoth.”

Arrivé à Mammoth, en Californie, il squatte le canapé d’une amie et cherche des boulots de nuit quand le compagnon de sa logeuse lui conseille de postuler pour un emploi de conducteur d’engin de damage. “Pour moi, il était absolument impossible qu’on me laisse piloter un engin si coûteux, mais j’ai quand même rempli le formulaire de candidature et je suis allé au salon de l’emploi. J’ai expliqué au responsable du damage que j’étais un skieur radical et qu’il me fallait un boulot de nuit pour pouvoir skier la journée. Il m’a embauché sur le champ, pas d’expérience requise.”

Grâce à ce nouveau job, non seulement Bernie a trouvé la solution pour skier autant qu’il le désire, mais aussi un bon moyen pour découvrir d’autres horizons. C’est ainsi qu’il a passé une saison comme dameur dans la station de Whakapapa en Nouvelle-Zélande et quatre saisons sur le domaine de Thredbo dans l’État de Nouvelle Galles du Sud en Australie. Deux expériences enrichissantes qui lui ont permis de s’ouvrir à d’autres montagnes et de vivre passionnément sa vie de skieurvagabond. Si l’expérience néo-zélandaise tourna court – une seule saison faute de bonnes conditions, il garde de son séjour australien un très bon souvenir. “J’ai d’abord été en Australie pour la fiche de paie, sans attendre grand-chose côté ski. Mais je suis tombé amoureux du domaine après ma première saison. D’abord il y a des arbres, ce qui est précieux en cas de tempête. Et puis l’Australie n’est pas aussi plate qu’on peut le penser. Thredbo possède de super lignes jusqu’à 600 mètres de dénivelé. La neige peut être excellente et, certaines années, il neige en abondance. Et s’il ne neige pas, on y trouve l’un des meilleurs reliefs pour les sauts que j’ai jamais connu. Je me suis vraiment éclaté là-bas. Le seul point noir, c’est la pluie.”

“Cela peut-être très dur pour votre santé mentale quand vous essayez de damer une piste qui se transforme en boue.”

… Et sans conditions.

Quand on dédie sa vie au ski, la voie royale est de pouvoir vivre du sponsoring. Mais pour se faire une place au soleil, il faut soit faire des résultats, soit avoir de la chance, soit une certaine fibre commerciale, soit les trois cumulés. En dépit de bons résultats en compétition de freestyle – quatrième à l’Open d’Aspen et sixième de celui du Vermont en 2006 – Bernie ne capitalise pas ses faits d’armes. Quant au freeride, la voie compétitive est encore plus incertaine. “J’ai participé à deux compétitions de freeride, mais je n’ai jamais eu ni le temps ni l’argent pour me lancer sérieusement. J’ai l’impression qu’il faut faire pas mal de contests pour que les juges impriment votre nom et relèvent votre note. C’est très onéreux de voyager sur les différentes compétitions afin de se qualifier sur le tour… ”

“Et puis je préfère dépenser mon argent à skier de la bonne neige qu’à pourchasser des compétitions.”

Aujourd’hui dégagé de toute contrainte, mais sans aucun budget sponsoring, Bernie vit le ski comme il l’entend, en totale liberté. “Cela fait maintenant 10 ans que j’ai des sponsors matériels, mais je n’ai jamais reçu d’argent d’aucun sponsor. Ce n’est pas que je n’aimerais pas voyager à travers le monde pour skier, mais cela n’a jamais été une l’opportunité. Avoir des obligations envers des sponsors et partir faire des trips magnifiques m’apparaît aujourd’hui comme un idéal. Ce sont les voyages qui me manquent avec le boulot que je fais. Mais sponsors ou pas, je vais continuer à skier tous les jours.

Il ne s’agit pas de gagner du pognon pour skier, il s’agit de ma vie et de ce que j’aime faire.

Je m’y consacrerai toujours à 100 % et je suis déjà pleinement satisfait d’avoir la chance d’avoir le matériel que je veux.”

Soutenu matériellement par Oakley et Black Crows, Bernie s’en contente. De toute façon, il n’a pas le temps de s’en préoccuper outre mesure. “Je termine le boulot à minuit et demi et j’essaye d’être couché à une heure du matin. La plupart du temps, je suis debout à sept heures pour partir skier. Avec les énormes chutes de cette saison, j’ai souvent chargé la motoneige sur mon pick-up et préparé mes affaires pour une longue journée. Si les conditions sont bonnes en station, je prends les remontées jusqu’à ce que tout soit tracé, puis je pars en motoneige en dehors du domaine. C’est d’ailleurs ce que j’ai fait aujourd’hui. Et si le domaine a déjà été tracé, je me lève tôt pour randonner quelque part. Avec les grosses chutes de cette saison, il y avait beaucoup de neige en fond de vallée, alors j’utilisais la motoneige pour aller aussi loin qu’il est autorisé. Cela permet d’éviter de très longues approches. Parfois aussi, je rejoins des potes pour partir skier à Sonora à une heure et demie de route. Là-bas, on peut accéder à des coins magnifiques en motoneige.”

Le lien avec Black Crows, ce fut d’abord la découverte d’une paire de Corvus aux pieds de son ami Christian Pondella (le photographe États-Uniens avec qui il shoote depuis dix ans lui a permis d’obtenir de nombreuses parutions dans le magazine Powder, mais là encore ce fut insuffisant pour lui ouvrir la voie du sponsoring financier). Puis ce fut la rencontre de Chris Booth lors de son séjour australien. L’amitié qui s’ensuivit a facilité la prise de contact. “Il y a deux ans, j’ai voyagé en Europe au printemps. Je suis passé voir Chris à Chamonix, les conditions n’étaient pas terribles mais j’ai pu voir la collection ski et textile dans les bureaux. Cette même année, Nordica a changé sa gamme et comme je n’étais pas satisfait des skis, j’ai appelé Boothy et je l’ai supplié de m’envoyer du matos.”

 

Voilà un an que Bernie a rejoint l’escadrille, devenant l’un des principaux pourvoyeurs de vidéo sur Instagram – c’est toujours bien d’avoir un ami qui travaille chez GoPro. Car c’est aussi grâce à cette nouvelle visibilité sur la toile que Bernie fait parler de lui, peu de skieurs étants aussi prolifiques que lui. “Il y a deux ans, quand les vidéos ont commencé à être populaires sur Instagram, j’ai décidé de mettre en ligne tout ce que je skiais chaque jour. C’est facile parce que je n’ai pas besoin de trouver un cameraman. J’ai juste à fixer ma GoPro sur mon casque et à skier. On n’a pas à attendre. Au début, sur Instagram, on ne pouvait pas excéder 20 secondes. Alors je me suis dit que ce serait facile d’avoir 20 secondes d’assez bonne qualité tous les jours. Maintenant qu’ils sont passés à 60 secondes, je m’implique d’avantage dans le montage. Je mets un point d’honneur à ne jamais filmer deux fois la même chose, à moins de le skier mieux ou différemment la seconde fois. C’est chouette d’essayer de trouver quelque chose de nouveau tous les jours.”

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