Le vent maltraite nos tentes depuis notre arrivée sur les lieux quelques heures plus tôt. L’idée de sortir du duvet et d’abandonner mon dernier rempart contre le froid ne m’enchante pas vraiment, il va pourtant falloir s’y résoudre. Dehors, coincé entre l’Océan et un imposant massif rocheux, nous attend l’un des spots de grimpe les plus isolés de la planète. Au beau milieu du territoire Viking, à l’extrême Sud-Est de l’Islande, le chaos de bloc des Vestrahorn est probablement le site le plus incroyable qu’il m’est était donné de découvrir… l’excitation est générale, malgré le vent et le froid nous sommes prêts à affronter ce spot complètement fou !
Cette fois-ci, je crois que nous venons de trouver ce que nous sommes venus chercher en Islande. Ce que nous sommes venus chercher c’est une nouvelle approche de l’escalade. Nous sommes des grimpeurs passionnés depuis de très longues années, arpentant les falaises à la mode et autres spots surpeuplés en quête de nouvelles voies à accrocher à notre palmarès. Mais cette pratique à ses limites et nous ressentons le besoin de sortir des sentiers battus, pour aborder la grimpe d’une autre manière. Avec Adrien, nous avons en tête de partir à la recherche de nouveaux spots, laissés dans l’oubli par la masse des grimpeurs. Nos compétences sont complémentaires, lui équipe des voies sans relâche et moi je trimballe mon appareil photo dans les nouveaux spots qu’il fait naître afin de les diffuser auprès du plus grand nombre. Ne reste plus qu’à trouver une équipe de grimpeurs prêts à nous suivre dans chacune de nos aventures.
Cette fois-ci, l’aventure est osée, nous le savons, l’Islande ne se laissera pas apprivoiser facilement et nous ne savons pas vraiment ce que nous allons trouver là-bas. L’île est bien connue des trekkeurs, photographes, surfeurs et autres amoureux de la nature, mais très peu de grimpeurs tentent l’aventure. Pourquoi ? Probablement à cause de cette météo capricieuse qui menace de compromettre votre trip en une fraction de seconde ou tout simplement à cause de l’absence de falaises dignes de ce nom.
Peu importe, nous sommes sept grimpeurs européens prêts à vivre l’expérience islandaise. Florence, Danielle, Adrien, Gérome, Mathieu, Thomas et moi…nous sommes prêts à sillonner ses routes pendant 15 jours, serrés dans notre 4X4, à la recherche de nouveaux spots de grimpe ! Notre arrivée à l’aéroport de Keflavik est hors du temps, bercée par une lumière hallucinante à trois heures du mat. Un rêve de photographe… vite effacé par un violent retour à la réalité: la compagnie aérienne a perdu l’essentiel de nos bagages. Nous voilà donc bloqués à Reykjavík pour plusieurs jours, arpentant les rues et les bars de la ville, le moral chute rapidement. Peu importe, il faut rebondir, avec ou sans bagage nous décidons de prendre la route. L’appel des montagnes au loin est trop fort. Les grimpeurs islandais contactés avant notre départ nous donnent rendez-vous sur la falaise la plus développée de l’île: Hnappavellir. Scotchés aux vitres du 4X4, nous découvrons enfin cette Islande dont nous avons rêvé depuis des mois et comprenons assez vite ce qu’il nous attend. La terre fume de toute part, la pluie semble éteindre un immense brasier invisible. Les glaciers apparaissent au détour d’un virage et viennent mourir dans l’Océan. Tout semble irréel et démesuré. L’Islande nous apparaît: un équilibre naturel précaire où cohabitent volcans et glaciers, le feu et la glace.
Notre voyage ressemble à une journée sans fin. Nous avons fait le choix de partir au mois de juin, période où les risques de pluie sont les plus faibles et les nuits quasiment inexistantes. C’est un avantage précieux qui nous permet de grimper jusqu’à plus soif, sans se soucier du reste. Après ces plusieurs jours de galères, notre découverte de la falaise d’Hnappavellir est boulimique. On passe de secteur en secteur, essayant toutes les voies que l’on peut, notre seule limite est la peau des nos doigts qui subit les assauts du basalte abrasif. Une nouvelle fois, nous sommes sidérés par ce que nous découvrons: la falaise est une immense langue basaltique oscillant entre dix et trente mètres de haut et longue de plusieurs kilomètres. Nous n’étions sûrs de rien avant notre départ, la surprise est donc saisissante. Le terrain de jeu est énorme.
Le soir, nous retrouvons nos amis islandais dans une cabane en bois construit au pied de la falaise par leurs soins. Parmi eux Eyþór Konráðsson et Valdimar Börjnsson, deux grimpeurs islandais extrêmement actifs dans le développement de l’escalade sur l’île. Le lendemain est l’occasion de découvrir le spot aux côtés des locaux. Valdimar tient à nous montrer l’un de ses projets : une voie qu’il essaye depuis plusieurs années. Malgré l’état catastrophique de ses doigts, Gérôme enfile ses chaussons, s’encorde et part dans la voie. Les essais s’enchainent et l’émulation monte, tous les grimpeurs se sont réunis au pied de la voie pour encourager les furieux falaisistes. Finalement, Gérôme enchaîne la voie dans un ultime run et libère ainsi « Kamarprobbi », qui devient la voie la plus dure d’Islande à ce jour.
L’échange avec les locaux est fabuleux, nous prenons nos marques et le soir venu nous nous retrouvons dans la cabane pour boire quelques bières et fêter la performance de l’après-midi Eytor nous parle alors d’un spot de bloc isolé à la pointe Sud-Est de l’île. Le site est encore confidentiel, aucun topo n’existe, mais Eytor répertorie méticuleusement tous les passages dans un coin de sa tête. Plus de deux cents blocs ont déjà été ouverts, mais le potentiel reste énorme. Nos yeux brillent. Ce spot de bloc nous en avons entendu parlé, il s’agit du chaos des Vestrahorn. Nous n’avions pas suffisamment d’infos pour nous y rendre seuls, mais voilà que sans le savoir, nous grimpons depuis deux jours avec les principaux acteurs de ce nouveau site.
Nous suivons le 4X4 d’Eytor depuis plus d’une heure en direction de Hofn, un village de pêcheur isolé. Il nous a promis un arrêt dans des sources d’eau chaudes et un repas chaud. Promesses tenues, nous reprenons la route propre et le ventre rempli de la spécialité locale : le « lobster », une sorte de homard islandais. Il est 23 h, mais le jour est toujours présent, la fatigue aussi. Dans le 4X4 personne ne parle, nous accusons le coup. Après quatre jours de grimpe et de bivouac, nous rêvons secrètement d’un camping confortable et d’eau courante. Les 4X4 filent à toute allure sur la piste puis bifurquent brusquement en direction de l’Océan. La vision est irréelle, nos esprits peinent à faire le point, nous roulons à présent au beau milieu de l’Océan, traversant une lagune de plusieurs centaines de mètres. Personne ne parle mais les visages parlent d’eux-mêmes… aucuns blocs à l’horizon, seulement l’Océan à perte de vue et un massif brumeux salement austère. J’ai du mal à croire d’un camping 4 étoiles nous attend quelque part dans ce tableau. Nous reprenons une piste chaotique avant d’apercevoir d’autres véhicules garés au sommet d’une colline. Non loin, plusieurs personnes se serrent autour d’une immense cheminée de pierre, semblant avoir été construite par les Vikings en personne. De l’autre côté de la colline, le spectacle attendu est bien là, un immense chaos de bloc à perte de vue… Nous posons nos tentes au beau milieu de nulle part et partons rejoindre les grimpeurs islandais au coin du feu. Le camping et le confort attendront, demain nous avons une grosse journée: Nous venons de trouver ce que nous sommes venus chercher en Islande…