Cela fait un bon moment que je surfe cette gauche. J’ai essayé la droite, mais ça ferme… La gauche est longue, un peu molle, mais je finis à chaque fois sur le sable. Assis au volant du camion, je la surfe mentalement.
« Bon ! On y va ? »
Layla me tire de ma rêverie. Oui, on y va, avant que le vent ne tourne, que ce soit trop haut. Avant que le surf cérébral ne prenne le pas sur la réalité de cette eau à 11 degrés. Je me demande souvent comment elle fait. L’autre jour, j’ai dû la déshabiller parce qu’elle avait trop froid aux mains et n’arrivait plus à retirer sa combinaison ni à ouvrir le camion. Elle tremblait de la tête aux pieds. Mais une Anglaise rousse, dont les aïeules ont dû subir les bûchers de l’inquisition, ne se laisse pas démonter par un peu d’eau froide. En cette fin février, le surf est attractif sur cette côte sauvage et déserte. Avec des ciels d’une rare beauté et un festival de lumières en perpétuel changement, la mise à l’eau s’apparente à une plongée dans la beauté du monde.
Loin de l’agitation de nos vies modernes et de l’artifice de nos liens permanents sur la toile, le surf agit comme une rupture avec le quotidien. Se retrouver seul au line up ou seul au sommet d’une montagne devient non seulement un but, mais une quête. Voilà plusieurs hivers que nous privilégions des endroits insolites à contre-courant des pics de fréquentation. Avec Layla, nous ne recherchons pas la performance, mais nous sommes heureux de partager nos expériences et de faire rêver les gens. Cela fait aussi partie des choses qui nous motivent.
Bien que Pyrénéen, je n’avais jamais relié dans la même journée les deux passions qui guident ma vie, le surf et le ski. La veille, après avoir surfé, nous avions remonté une vallée isolée par une route tortueuse que l’on découvrait à la lumière des phares. Le camion peinait et rugissait pour franchir un col indication d’aucune sorte. Finalement, nous avions rejoint un village complètement endormi, coupant court à nos rêves de plateau combinado (restauration simple et économique). Plus tard, un automobiliste était venu à notre rencontre pour savoir si on avait besoin de quelque chose ou si nous étions perdus. Sur le moment, je crois bien que nous ne l’avons jamais été autant.
Puis, il y eut cette journée ou, après avoir pris un petit téléphérique extrêmement aérien, nous avions skié seuls un joli tapis de neige fraîche sur les montagnes qui dominent de plus de 2000 mètres le Golfe de Gasconne. Les Picos de Europa ne sont pas une grandissime destination de ski. On ne doit pas s’attendre à du grand ski, mais c’est un massif extrêmement sauvage qui offre de belles opportunités et permet de combiner ski et surf dans la même journée. En plein mois de février, nous n’étions qu’une poignée de skieurs à attendre sur le quai de la gare du téléphérique d’El Cable. Et nous n’étions aussi qu’une poignée de surfeurs à attendre au line up les jolies vagues à Playa de Meron. Pour conclure, je dirais que c’est merveilleusement beau, qu’on y mange bien et que les habitants du coin sont sympas et accueillants. Ce voyage fut l’un des plus exotiques de l’hiver et nous sommes repartis avec un profond sentiment de dépaysement.