Tinder Stories #3 – Les bottes rouges

J’ai toujours pensé que je maîtrisais Tinder à la perfection.

J’avais l’impression qu’il y avait un ensemble de règles à respecter pour s’amuser et ne jamais être blessé, et que je respectais ces règles à la lettre.

Par exemple : 

1) Comprendre qu’aucune conversation Tinder, aussi profonde et intime soit-elle, n’a d’importance de quelque manière que ce soit. Ce n’est que lorsqu’on voit la personne dans la vraie vie que ça compte. Les rencontres en ligne ne sont que des 0 et des 1. Binaires. Elles disparaissent aussi facilement qu’elles sont apparues. 

2) Chaque personne que vous allez rencontrer sera complètement différente dans la réalité de ce que vous avez imaginé. À tous les coups. Donc autant essayer d’arriver à ce premier rendez-vous le plus vite possible. 

3) Tinder est censé être fun. 

4) Dans la société Tinderdisée des rencontres modernes, aucun rendez-vous n’est jamais aussi intéressant que les milliers de rencontres potentielles qui attendent dans votre téléphone. Ne le prenez donc pas personnellement si quelqu’un disparaît soudainement de votre radar. 

5) Faites en sorte que le premier rendez-vous soit court – cela augmentera considérablement vos chances d’en obtenir un second par la suite. 

Je pensais avoir trouvé une façon de sortir qui me permettrait de toujours m’amuser et de ne jamais être blessé. Mais j’ai rencontré cette fille aux bottes rouges, et tout a changé. 

Chapitre un 

Notre histoire a commencé de la même façon que tant d’autres auparavant. 

Elle est venue chez moi pour dîner. Ce qui était intéressant cette fois, c’est qu’avant ce rendez-vous, j’avais enfreint l’une de mes propres règles sur Tinder. Au lieu de passer directement du chat à la rencontre en personne, nous avons échangé sur FaceTime. 

C’était son idée, pas la mienne. 

Elle pensait qu’une courte session FaceTime éliminerait les incertitudes potentielles que nous pourrions avoir avant de nous rencontrer dans la vraie vie, ce qui rendrait le premier rendez-vous plus agréable. Pendant notre appel FaceTime, elle était dans sa maison de vacances, et moi dans ma cuisine. Nous avons passé beaucoup de temps à discuter de notre intérêt partagé pour le jazz, c’est pourquoi j’étais en train d’écouter le très classique « Blue in green » lorsque la sonnette a retenti et que notre première rencontre en face à face a eu lieu. 

Ma première impression : Elle est vraiment grande ! 

Ma deuxième impression : Elle est vraiment sûre d’elle ! 

C’était au plus fort de la pandémie, et même si, techniquement parlant, il était encore possible de prendre le bus et le métro à Stockholm, elle avait décidé d’éviter la contamination en se déplaçant partout à pied. 

Vraiment partout. 

Elle se rendait à pied au travail chaque matin (40 minutes). 

Elle se rendait à pied à sa salle de sport tous les soirs (15 minutes). 

Et maintenant, elle avait traversé la ville enneigée, jusqu’au plus profond de ma banlieue, pour venir dîner avec un skieur qu’elle n’avait jamais rencontré en vrai (2 heures). 

Je l’ai regardée avec admiration alors qu’elle délaçait ses bottes rouge foncé, couleur de l’amour, du sang et des cœurs brisés. Après un bonjour rapide, elle est entrée d’un pas assuré, à la manière de Legolas, dans la cuisine où j’étais en train de préparer un repas tout simple à base de boulettes de champignons, poulet braisé et tarte au chocolat. 

Après ce qui a peut-être pris des heures, mais qui m’a semblé être des minutes, nous nous sommes retrouvés sur mon canapé. Nos hanches se touchaient. Je me souviens qu’elle a pris ma main, et le regard dans ses yeux. Et on s’est mélangés toute la nuit. 

– Je dois partir, a-t-elle dit sans tristesse. 

Je l’ai suivie jusqu’à la gare, j’ai même pris le train avec elle pendant quelques arrêts. Elle n’a jamais lâché ma main. 

Chapitre deux

Cette fille avait une passion pour la marche. 

Ce qui est fou à Stockholm en hiver, c’est qu’il peut y avoir pas mal de neige, et quand c’est le cas, les chasse-neige qui travaillent pour garder les routes dégagées et praticables ont tendance à oublier les trottoirs. Alors quand on se retrouvait pour prendre un verre ou un café, je la voyais souvent de loin, marchant au milieu de la rue parmi les voitures. De longues enjambées dans ses bottes rouge sang. 

Nous avions le même âge, mais alors que je n’étais qu’un simple skieur avec une passion pour la gastronomie (notre rencontre a eu lieu lors d’une de mes escapades de 8 semaines entre Chamonix et l’intersaison), elle était bien déjà très éduquée et avait un travail sérieux dans la finance. 

Un soir, quelques semaines après notre première rencontre, elle m’a invité chez une de ses amies. Ils avaient fini de dîner, et je suis arrivé au moment du café et des digestifs. 

– Les amis, voici Monsieur Mec, a-t-elle annoncé à son groupe d’amis bien coiffés et bien habillés. 

– Et Monsieur Mec… Voici les amis, dit-elle en souriant. 

Alors que les lumières faiblissaient en même temps qu’augmentait le volume de la musique,je réfléchissais à la compagnie dans laquelle je me retrouvais. 

Une fille intelligente et belle. Des amis éduqués, de classe supérieure. Et au milieu de tout cela : Monsieur Mec, avec ses cheveux longs et ses histoires de montagne. J’ai honte de l’admettre maintenant mais j’étais impressionnée par leur argent et leur culture, et j’étais flatté et fier de leur intérêt pour ma vie si différente. J’enfreignais beaucoup de mes propres règles en étant si ouvert sur moi-même. Sur mon manque d’argent et d’éducation, sur mon abondance de liberté et de journées de ski. 

Cette nuit-là, nous sommes retournés à son appartement à pied, un peu plus que légèrement ivres. Après être passé dans sa salle de bains, je l’ai retrouvée sur le canapé, en train de délacer lentement ses chaussures rouge sang. Je n’ai jamais eu l’impression que les films romantiques hollywoodiens décrivaient de façon très réaliste les scènes d’amour intense. Mais alors que je la soulevais du canapé et que je la portais jusqu’au lit (du long de ses 190 centimètres – comment pouvait-elle être si légère ?), j’avais vraiment l’impression d’être dans un film. 

Un film assez torride. 

Chapitre trois 

La réalité de la vie d’un skieur vagabond : à la fin de chaque intersaison, il arrive un moment où il faut retourner à Chamonix. L’automne est terminé, l’hiver commence, et la vie urbaine de Stockholm perd tout son charme. 

Arrivé à cette époque de l’année, j’avais enfreint quaisement toutes mes règles concernant Tinder. Je commençais à penser que j’avais trouvé l’amour. J’avais supprimé l’application de rencontre de mon téléphone depuis longtemps (après notre quatrième rendez-vous – une première, pour moi), et dans ma tête, j’avais commencé à rêver de sa première visite à Chamonix, de notre premier rendez-vous de ski. 

Mais en entrant dans son appartement ce soir-là j’ai immédiatement compris que quelque chose n’allait pas. Elle avait l’habitude de mettre Frank Sinatra quand je venais la voir – « de loin la plus grande voix de l’histoire », disait-elle – mais cette fois, l’appartement était silencieux. 

Je l’ai trouvée sur le canapé, au même endroit où on avait commencé tant de moments magiques auparavant. Mais cette fois, elle semblait distante. 

– Comment s’est passée ta journée ? m’a-t-elle demandé. 

– Bien, merci. J’ai coché beaucoup de cases sur ma liste de choses à faire, ce qui fait toujours plaisir 

– Ah oui, a-t-elle répondu. En parlant de cocher des choses à faire… 

Et c’est comme ça qu’elle m’a largué. 

Notre voyage s’est terminé aussi vite que nous étions entrés dans la vie de l’autre. 

Je suis rentré chez moi ce soir-là lentement, comme elle l’aurait fait, à pied. La fille qui aimait marcher. Et à chaque pas que je faisais, je pensais à ses bottes rouges, qui ne faisaient plus partie de mon histoire. J’avais enfreint toutes mes propres règles – et tandis que les larmes coulaient sur mon visage, j’ai réalisé qu’à partir de ce moment, il me serait très douloureux de voir des bottes rouges. 

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