True love

Trouver l’amour au milieu de la neige et des montagnes, au-dessus de 3000m d’altitude, c’est une chose rare et précieuse. Le garder malgré les dangers et les écueils est encore une autre histoire.  

Ça avait été un bel hiver, de ceux qui avaient fait la réputation du lieu. 

De nombreuses tempêtes de neige étaient venues à intervalles réguliers recouvrir d’un épais manteau blanc tout le massif. Alors en ce début du mois de mai, au sommet du vieux téléphérique, la fête battait son plein pour la fermeture de la station.  

La vieille gare, située à plus de 3000m au sommet d’un pain de sucre en roche et neige, avait pris des allures de citadelle rebelle à l’inévitable retour du printemps. Les glisseurs étaient venus de tout l’arc alpin pour se retrouver une dernière fois, fêter, et partager le plaisir de belles descentes.  

Sur la terrasse, une foule hétéroclite de riders dansait en chaussures de skis ou en boots de snow au son d’un rock électro sauvage et débridé, orchestré par nos amis Anglais. Les groupes se formaient autour d’une bouteille de blanc ou d’un joint, et chaque nouvelle arrivée de la vielle cabine déversait une nouvelle vague de fêtards. Certains restaient là et se joignaient à la liesse, les autres attaquaient la longue descente des escaliers…  

 

À un moment j’avais ressenti le besoin de m’éloigner de la cohue, de la musique et des rires. Mes pas m’avaient conduit tout naturellement vers les escaliers qui demeuraient un lieu de passage peu encombré. Appuyé contre une des rambardes, je m’étais retourné pour regarder la fête et apprécier le moment, sortant du rôle d’acteur pour devenir spectateur. C’est l’instant de la fête où tu prends du recul pour souffler et apprécier la vie en regardant tes amis s’éclater.  

J’avais attrapé mes skis et attaquai la descente sonore des marches métalliques, et c’est là au premier palier qu’on s’était croisés pour la première fois.  

Elle s’était assise un peu à l’écart… Quant elle a relevé la tête et que nos regards se sont croisés j’ai fondu. Ses yeux avait la couleur bleutée de la glace la plus pure. Le temps s’est arrêté puis elle a baissé les paupières et a souri.  

Nous nous sommes revus, on apprenait à se connaître sur les skis et dans la nuit, et ce que l’on découvrait de l’autre nous enchantait… Puis un soir dans un bar de la rue de la soif la musique était si forte et nos tête si proches pour nous parler, que nos leur lèvres se sont rencontrées et l’on s’est embrassés, timidement d’abord, n’osant croire en la magie de l’instant, puis fougueusement, toute retenue ayant volé en éclats dans un monde qui venait de basculer.  

Plus de dix ans se sont écoulés depuis cette fameuse soirée et après avoir traversé tout ce qu’un couple peut vivre, et même plus si l’on y regarde de plus près, j’apprécie toujours autant de me réveiller auprès d’elle profondément endormie. Écouter son souffle régulier et m’émerveiller qu’elle soit restée.  

La cérémonie du café en ouverture de la plupart de nos journées permet d’affronter les milles petites choses du quotidien propres à saper les fondements des passions les plus fortes. Et puis aussi il faut le dire l’expérience et le partage de moments extraordinaires dans le bien comme dans le mal.  

Balayé par une avalanche lors d’une tempête de neige au nord de la Norvège, je n’oublierai jamais son cri de détresse et de peur alors que nous étions emportés, et l’horrible sentiment d’impuissance qui avait fait disparaître toute peur de mon ventre et m’avait aussi profondément dégoûté de moi même pour l’avoir embarquée dans cette situation. On s’en était tiré sans une égratignure, juste la perte d’un piolet et une bonne leçon personnelle que j’avais ruminée un bon moment, un miracle.  

En stress au line up lors d’une solide houle d’automne où l’on n’aurait jamais dû aller à l’eau et où elle m’avait suivi là aussi par amour par jeu, par défi. Le retour sur la plage avait ressemblé à un exercice de survie où elle avait cassé son leach dans la zone d’impact…  

Les erreurs de timing ou d’appréciation de la neige en pente raide où la moindre faute de carre nous aurait envoyé en enfer; elle à chuter dans la pente et moi témoin de mon pire cauchemar… Parce que l’extrême romance dans la pratique conduit inévitablement à découvrir la peur pour l’autre. Quand tu ne peux plus rien faire pour l’aider et qu’il vaut mieux fermer sa gueule et le laisser faire et gérer ce pour quoi il est là .  

Mais aussi mille joies et bonheurs simples en canyon ou lors de belles fêtes avec nos amis, nos familles, une vie riche en partages et moments vrais. Comme cette ballade sous LSD dans la sauvagerie des canyons du désert du Moab où l’on avait voyagé ensemble à des années-lumière de notre zone de confort… Je me souviens que l’on avait mis pas mal de temps pour rentrer de ces lointaines contrées.  Les nuits à la belle étoile dans nos hamacs, les yeux et l’esprit nageant dans le cosmos de nos nuits d’été Aragonaises… Comment aurais-je pu imaginer malgré l’intensité de ce premier regard la vie que nous allions vivre après .  

Toute ressemblance avec des événements ou des personnages ayant existé ne serait que pure coïncidence. 

Par @bruno_compagnet

Articles associés


La route d’un autre automne


Paris ski blues