Voyage en son pays inconnu.

M. Mec est de retour, non pas à Chamonix, mais à Åre, sur ses propres terres suédoises. Fleuron du ski alpin, Åre est la plus ancienne et la plus célèbre des stations du pays. Située à 600 km au nord-est de Stockholm, au bord du lac Åresjön, elle concentre l’imaginaire du ski scandinave : des pistes au cordeau, des horizons magnifiques, une météo capricieuse et des lumières surnaturelles. M. Mec venait y chercher le ski, la joie et par la même occasion vérifier la consistance du réel dans ce petit paradis qui par bien des égards semble évoluer dans une autre galaxie.

Prélude

Åre est connu pour pas mal de trucs.

La neige chou-fleur. Une météo souvent exécrable faite de vents glacés, de pentes glacées et d’âmes glacées. Un ensoleillement étrange avec des rayons de lumière dont l’intensité ne dépasse jamais celles de l’aube ou du crépuscule.

Le lieu est également connu pour ses prix exorbitants, ridiculement exorbitants.
Et pour être prisée d’un grand nombre de riches Stockholmois.
Et… Fait intéressant, d’être la terre d’accueil d’une forte communauté d’irréductibles, de locaux, de mangeurs de dénivelé désargentés.

Lors d’un voyage de fraîche date, j’ai eu l’occasion de découvrir la plupart de ces aspects.

Nous étions quatorze. Les planètes s’étaient alignées et la plupart de notre bande de potes avait pu converger vers une immense maison (disons un château) pour une semaine de ski, de sauna et de santé !

Au cours de ce séjour, j’ai tenu un journal afin de garder une trace de mes impressions de cette station légendaire. Ferait-il vraiment si froid ? Est-ce que cela allait être à ce point hors de prix ? Les Stockholmois allaient-ils être grossiers, fêtards et irrespectueux ? Et est-ce que je trouverai des locaux relax qui fument de l’herbe ?

Chapitre I : la danseuse

Me voilà à nouveau soûl.
Quelque part entre le ski, une douche rapide et le trajet enneigé jusqu’à la gare de train, j’ai comme perdu la capacité de marché droit.

En revanche, je n’ai pas perdu mon aptitude à danser.
Je l’ai remarqué d’un point de vue presque extracorporel sur la piste de danse à l’intérieur du club qui se trouve juste à côté de la gare.

Pourquoi se diriger vers la gare me direz-vous ?

Eh bien parce que c’est un endroit que j’ai immédiatement identifié comme un lieu où se trouvaient de vraies gens.
Pas ces pseudo-Stockholmois aux vestes onéreuses et aux épais portefeuilles.
Pas de prosecco. Un endroit pour les romantiques. Et pour la bière.

C’est vendredi et les dieux sont avec moi.
Nous portons notre dévolu non pas sur des bières fraîches, des vins extravagants ou de la vodka glacée.
Nous optons plutôt pour la Chartreuse en tant que lubrifiant de cette nuit de toutes les nuits.
Une sorte de duo-de-filles-techno-rideuses mixe de la musique électronique depuis une cabine de DJ qui paraît construite à partir de chaises de bar et de duct tape.

C’est d’abord à ses chaussures que je la remarque.
Elles brillent, scintillent, irradient. Elles semblent contenir toute une rampe de lumières.
C’est bizarre.
Serait-ce une paire de patins à roulettes ? Je ne sais pas trop.

Mes chaussures n’ont rien d’extraordinaire.

Néanmoins, je porte une moustache.

Et porter une moustache peut s’avérer une drôle d’expérience.

Vous êtes immédiatement catégorisé selon la réaction des autres, qu’elle soit positive ou négative.
Il semble ne pas y avoir de nuance possible.
Soit ils aiment, soit ils détestent. Soit leurs yeux disent “miam, oui”, soit c’est “beurk, non.”.

Les siens disent “daddy”.

Je ne me souviens pas comment nous sommes arrivés sur la deuxième piste de danse.
Ni comment je l’ai perdu.
Je ne me souviens que du texto que j’ai reçu quand nous étions sur la route du retour avec mes potes.
Elle me disait que j’étais le bienvenu. Qu’il fallait juste que j’appelle. Je pouvais même la réveiller si besoin.

Mais j’avais déjà une copine à la maison.

Et même plusieurs en fait.

Alors j’ai maladroitement remis mon téléphone dans ma poche et continué vers la maison avec mes potes.

Un chemin enneigé.
Un chemin pénible.
Notre maison se situait au sommet de la colline. Et la pente était coriace avec toute cette neige.
On tombait, on riait, on criait et on roulait les uns sur les autres.
“M. Mec pourrait être bien au chaud dans le lit de la danseuse, mais il est là avec nous dans la neige”!

Avant de me coucher, j’ai regardé mon téléphone et réalisé que je l’avais appelé accidentellement. La notification indiquait qu’elle avait écouté pendant… 6 minutes.

Sans trop savoir pourquoi, cela m’a rendu triste à bien des égards.

Chapitre II : les gosses cousus d’or

Tout dans ce séjour avait été parfait.
Vraiment, vraiment parfait.

Mon engin de prédilection avait été le corvus 188. Ce vieux compagnon qui en avait vu de toutes les couleurs. Depuis les faces nord du Buet, les neiges réchauffées des faces sud de l’Envers et les plaines glacées de Katterjokk. (J’avais évidemment emporté les Atris 189. Le faiseur de rêve. Le shaker de neige. Le véhicule de l’amour.)

Je m’attendais à voir débarquer un drame à un moment ou un autre. 14 personnes réunies pendant toute une semaine allaient forcément entraîner quelques embrouilles. Mais honnêtement, le pire qui soit advenu s’est produit quand je préparais une mayonnaise dans la cuisine et qu’une partie de la bande a décidé que je faisais trop de bruit. Cela a déclenché une brève mais vive altercation au cours de laquelle j’ai essayé de leur faire comprendre à quel point il était absurde que la bande des ordinateurs demande au cuisinier de quitter la cuisine, déplaçant son kit de mayonnaise sur la terrasse où elle tourna instantanément, ce qui me rendit dingue.

Mais ouais, à part des broutilles de ce genre, le séjour s’avéra lisse comme une piste fraîchement damée.

Jusqu’au dernier jour et l’annulation de notre train.

Des centaines de passagers se retrouvèrent bloqués sur le quai.

Heureusement, un pote ingénieux réussi à réserver un train pour le lendemain et à nous mettre à l’abri dans un hôtel à proximité de la gare.

Tout roulait à la perfection jusqu’à ce qu’on aille dîner.
On jeta notre dévolu sur l’un des restaurants les plus chics du centre-ville. Un lieu avec plein d’amuse-gueules et sans âme.
D’ordinaire ça ne me dérange pas tant que je peux commander un Martini.
Mais il y avait un truc qui clochait à propos de cet endroit.
C’était… Tellement surfait.
Surfait et onéreux.
Oui, il y avait quelque chose de bizarre à voir tous ces groupes de gars assis à leurs tables.
Ils étaient trop jeunes.
Leurs fringues semblaient trop chères.
Comment pouvaient-ils se payer un tel luxe ?
“Merci papa, j’imagine” me dit mon pote avec un haussement d’épaules quand je soulevais le sujet.
Entre deux plats, on fit un tour aux toilettes.
Je me sentais tout juste mal à l’aise quand l’un des jeunes alpha m’a abordé dans la file d’attente.
“Écoute”, me dit-il en me fixant d’un air absent, pensant sans doute que je faisais partie du personnel. “J’ai une question”, ajouta-t-il en embrassant sa tenue d’un geste.
“Ma veste coûte une blinde… Mon pantalon n’en parle pas… Ma montre vaut une petite fortune… Je suis plutôt pas mal. Alors pourquoi est-ce que les femmes ne me sautent-elles pas toutes dessus ?”

Avec mon pote, on s’est contenté de le regarder.
Qu’est-ce qu’on pouvait répondre à un truc pareil ?

J’ai décidé de l’ignorer et suis rentré dans les toilettes pour me soulager.
Sur le petit comptoir au-dessus des toilettes, il y avait tellement de restes de cocaïne que ça n’avait plus rien de drôle. Ces gens n’avaient donc aucune gêne ?

Chapitre III : les pas de mon frère.

Je me promène en ville à la recherche de quelque chose de vrai.

Cela doit bien exister.

Et en effet, il se passait quelque chose de passionnant, maintenant et ici même.
Me voilà touriste dans ce lieu où mon frère se sentait chez lui.
Il est resté ici plusieurs années. Il s’est approprié la ville et la montagne.
J’étais venu lui rendre visite une seule fois, et pour un séjour d’environ quatre heures, juste le temps de montrer l’étendue de ma stupiiiiidité en claironnant à mes amis à quelle vitesse je pouvais skier – une décision qui me conduisit rapidement à me fracasser la clavicule contre un arbre.

La clavicule est encore difforme, mais la douleur a disparu.
Je marche dans les rues et je pense à lui.
Je me demande où il a pu rencontrer de vraies personnes.
Je sais qu’il a noué ici de grandes amitiés.
Mais certainement pas dans cette espèce de restaurant infesté de cocaïne, noir et lustré telle la bouche de l’enfer.

Avec ceux que je considère mes amis, nous trouvons enfin un bar à notre goût.
Il est un peu à l’écart. Dans l’ombre.
Pas de rythmes sans âme émanant des haut-parleurs. À la place : du punk rock.
Pas de prosecco. À la place : de la bière et du whisky bon marché.
Bien.

Sous la lumière blafarde, je rencontre enfin une personne réelle.
Un rastafari fêtant ses 30 ans avec à la main, une IPA bien fraîche.
Un jeune designer hollandais passionné de snowboard.
Un barman grincheux qui, quand je lui demande si je peux demander une chanson, se contente de pointer du doigt le grand panneau au-dessus du bar. “Demande de chanson : 1 000 €”.
Derrière lui, plusieurs bouteilles de Chartreuses.
C’est bon signe.

Cela me met du baume au cœur. Je me demande si mon frère avait l’habitude de traîner par ici ?
Détail intéressant : tandis que je marche dans ses pas à Åre, lui marche dans les miens à Chamonix. Ainsi, même si nous ne sommes pas ensemble, nous sommes toujours, d’une certaine façon, ensemble.

Texte et photos: Felix Olsson

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