Nicolas Delors : la perfection née du chaos

Bruno Compagnet célèbre la science de Nicolas Delors, shaper de surfs installé à Bidart. Un artisan passionné qui donne corps aux rêves des glisseurs d’eau.

Comme à mon habitude, j’ai passé l’été les pieds dans l’eau, mais en rivière, loin de la mer et des vagues. Alors, cette première session de surf automnale avait le goût des retrouvailles. J’étais fébrile comme un jeune homme se rendant à un rendez-vous amoureux. Le goût de l’eau salée sur mes lèvres et, surtout, la première vague surfée diluèrent toutes mes questions dans un tourbillon d’écume. C’était comme si on ne s’était jamais quitté…

Layla Jean Kerley

Les douces lumières matinales, le petit vent de terre et puis pas mal de vagues surfées me confirmèrent que ma planche avait bien un petit quelque chose en plus. En remontant les marches qui mènent au petit parking de Bidart centre, j’étais comblé. Bientôt la cinquantaine, mais confiant dans l’avenir et la force de mes passions.

En arrivant près de mon fourgon, deux surfeurs me complimentèrent sur ma planche : un glider en 9.4.3 lattes de cèdre rouge. Une petite merveille que je me suis offerte l’an passé après une journée épique où j’avais vu ce type de planche à l’œuvre dans un solide deux mètres et où je m’étais fait chahuter avec ma 6.6.

Le compliment me touche même si ça me gêne un peu parce que c’est l’œuvre de Nico Delors, un jeune shaper de Bidard que j’avais rencontré grâce à mon amie Dorothée dont elle m’avait conseillé l’adresse pour réparer un longboard. Une réparation parfaitement exécutée dans les délais (ce qui est suffisamment rare pour être relevé) et la rencontre avec un mec sympa dont j’ai tout de suite apprécié la personnalité.

Layla Jean Kerley

Je ne suis pas quelqu’un de très matérialiste. Je ne pense pas posséder grand-chose dont je ne puisse me séparer sans remords à part peut-être, un vélo… Mais pour cette planche, c’est différent. J’y tiens énormément. C’est mon lien à l’océan. Et je peux dire que je comprends désormais l’attachement et l’amour des anciens hawaïens pour leur planche.

À l’heure où la grande distribution du sport s’attaque au marché de la vague et envahit les line-up de planches moulées en série, on peut s’inquiéter de l’avenir des petits artisans du surf. Mais, au fond de moi, je sais qu’il y aura toujours un marché d’initiés et du travail pour les artistes du rabot…

En seulement quatre années de shape, Nico s’est construit une solide réputation qui lui permet de ne plus réparer les planches pour se focaliser sur ce qu’il préfère : créer des planches qui vous donnent le sourire quand vous partez à l’eau. Car, pour lui, outre les qualités techniques et le comportement sur l’eau, une planche doit être belle. Le glaçage et les teintes employées révèlent une forte personnalité, sans doute façonnée par le riff des guitares rock d’une époque pas si lointaine où la musique, les motos et les voitures qui venaient de l’autre côté de l’Atlantique faisaient rêver la vieille Europe.

Si vous cherchez un truster performant, vous n’êtes pas au bon endroit. Nicolas aime la longueur (il surfe un glider en 10.4), les fish surdimensionnés en twin et les stockers. C’est dans ces shapes historiques que sa formation d’ajusteur tourneur, sa précision et la rigueur de son travail des formes se révèlent. Une histoire simple qui a commencé telle une bonne entrée en vague quand Nico, s’étant shaper un glider, fut interpellé par un surfeur passionné de ce genre de planche et qui insista tellement que Nicolas finit par lui en fabriquer une. Nous étions en 2006, l’histoire était en route.

Layla Jean Kerley

Comme tout surfeur, j’aime franchir la porte d’un atelier de shape. J’éprouve un cocktail de sentiments qui vont de la curiosité en passant par le respect et qui se transforment parfois en désir. Parce que c’est là, au milieu de la poussière et des vapeurs volatiles, que Nico travaille en short chaussé d’une paire de baskets difficilement identifiables tellement les couches de résines et de couleurs les ont transformées. La coiffure en friche et l’allure négligée contrastent avec la précision des lignes qu’il vient de donner au pain de mousse qui repose sur des tréteaux. L’homme sourit. Son travail créatif et manuel lui donne du plaisir avant de le transmettre à quelqu’un dans les vagues.

Pour ses clients, les choses commencent par une discussion. Nico a cette capacité d’interprétation des besoins et des attentes des surfeurs. J’ai été enchanté d’échanger avec lui sur ma passion et sur mon désir de l’objet imaginé. Mais je me suis aussi laissé guider par sa science pour finaliser ma commande (en moyenne 4 mois d’attente) et je m’en réjouis à chaque fois que je sors de l’eau.

Et quand, dans l’aube naissante, mes pieds foulent le sable froid d’une plage et que mon regard scrute l’horizon pour y déceler la promesse d’une session de longue glisse, j’éprouve le sentiment agréable de posséder un objet unique, fruit du travail et de la passion d’une personne.

Cenitz, Pays Basque, le 6 octobre 2018

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