Les pédales de la liberté.

Une aventure en roue libre de Layla et Bruno à travers les routes sinueuses de l’île de beauté.

Le soleil n’a pas encore franchi la ligne d’horizon, mais il commence déjà à briller derrière la crête, illuminant les rochers surgis du front de mer. Sentinelles intemporelles, elles passent rapidement du sombre au rose pour finalement prendre leur couleur naturelle. L’air est encore chargé de senteurs nocturnes et je peux sentir la fraîcheur et l’humidité de la nuit sur mon visage. Par moments, un vent déjà chaud souffle entre les pins maritimes pour nous envelopper de l’odeur du genévrier et des fleurs sauvages du maquis. Je regarde la route qui serpente devant nous à flanc de falaise entre mer et montagne. Du dos de mon poignet, j’essuie la sueur qui commence à perler sur mon front, puis je fixe la ligne d’horizon qui semble reculer à chaque coup de pédale. Il est un peu plus de six heures du matin et nous sommes seuls à rouler entre Onza et le cap Corse.

En dépit d’une certaine capacité à supporter l’effort et la fatigue, Layla est comme moi, elle ne se considère pas comme une sportive. Cela nous permet de nous lancer dans des aventures qui enrichissent nos vies et que nous pouvons partager. Un autre spectacle qui réjouit mon cœur est le mouvement régulier de ses hanches lorsqu’elle appuie fort sur les pédales et commence à râler en découvrant une route côtière qui n’en finit pas de grimper. Les Corses sont un peuple montagnard et leurs villages, bien que tournés vers la mer, sont nichés au sommet de bastions rocheux et d’escarpements qui, dans les temps anciens, leur permettaient de voir arriver leurs ennemis de loin.

Le soleil frappe fort maintenant. Le serpent noir de l’asphalte commence à vibrer d’une chaleur qui sera bientôt insupportable. Au détour d’un virage, comme saisie par le mélange chimique d’une vieille photo sépia, on découvre une tour Génoise se dressant dans l’air surchauffé d’une pointe rocheuse. La présence du soleil n’est plus une source de lumière mais de feu. L’air colle à la peau comme du coton humide. La mer toute proche ne nous tente pas et nous préférons nous installer à la terrasse d’un café pour manger des canistreli à l’anis et au vin blanc en buvant du café noir à l’ombre d’un vieux platane. Le temps s’étire tandis que nous écoutons les anciens discuter et commenter les nouvelles.

Le vélo de route en Corse n’est pas un conte de fées. Il y a quelque chose de dur et d’implacable à rouler ici. Cela implique de se lever très tôt pour éviter la chaleur, les motards Allemands et les chauffards qui vous rasent sans pitié. Le voyage a parfois le goût de la poussière et le sel qui vous brûle la peau n’est pas marin. Mais le plaisir de se baigner dans une rivière d’eau fraîche et la sieste à l’ombre des eucalyptus valent bien des efforts. Les contrastes sont exacerbés comme la puanteur d’une charogne qui vous prend à la gorge lors d’une montée assassine ou le parfum entêtant des fleurs à l’entrée d’un village. La perfection des couchés et des levers de soleil tranche avec le spectacle incongru d’une truie aux tétines distendues et à la couleur indéfinie surgissant de la fange pour traverser avec désinvolture devant ma roue. La fraîcheur piquante et le calme de l’aube peuvent rapidement se transformer en fournaise infernale et en itinéraires surpeuplés. Plus le temps passe et plus la nécessité d’une vie décalée, à contre-courant du maelström, est devenu une quête et une nécessité.

Faire tourner des moulins à prière Tibétain en récitant des mantras en sanskrit dans une atmosphère chargée d’encens ne m’a rien appris ni révélé sur moi ou le vaste monde. Par contre, faire tourner les roues de nos vieux vélos en Corse fut une expérience vraie.

Bavella, mercredi 21 juin, Bruno Compagnet

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