L’arrêt fut brutal. Du jour au lendemain, passer de l’effervescence de l’hiver chamoniard à la vie de confiné est déstabilisant. Tout au long de l’hiver, entre le boulot de pisteur et les créneaux de beau temps, j’avais entamé une belle série de descentes et je comptais bien continuer. Mais la crise sanitaire est apparue et j’ai dû ranger les skis pour une durée indéfinie… Puis l’humain a pris le dessus et, finalement, l’envie de skier n’a pas été si forte que ça. Il faut dire que la météo du mois d’avril était éperdument belle, seulement deux jours de précipitations au cours du mois… Les conditions de ski n’auraient pas été phénoménales.
Début mai, une petite « mousson » s’abat sur la région. Les montagnes blanchissent et les projets reverdissent. Le 17, le téléphérique de l’Aiguille du Midi rouvre, mais on ne veut pas se retrouver à faire la queue. L’envie d’une sortie loin des foules s’impose. Nous partons du village d’Argentière pour aller skier le mythique couloir Couturier à l’Aiguille Verte.
Le rythme est cool, car après deux mois d’inaction, c’est la reprise du sport. Le retour à la montagne fait beaucoup de bien à la tête mais mal aux jambes et les 950 mètres du couloir sont à tracer.
Le temps est superbe, à 10 h 30 je suis au sommet de la Verte, sommet majeur du massif du Mont-Blanc, il est pour moi tout seul en attendant Pierre et Lucas qui arrivent gentiment.
La descente est excellente, neige poudreuse sur deux tiers du couloir puis neige de printemps. Un cheminement sur la partie basse dans la voie des Z nous évite de sortir la corde au verrou du bas. Skier ce couloir dans de telles conditions est rare ! La motivation remonte, le printemps aura une saveur de renaissance.
Le 21 mai, motivé par une joyeuse équipe de pisteurs et par des conditions favorables, direction le couloir Gervasutti au mont Blanc du Tacul.
Une courte montée en peaux par la voie normale et nous voilà au sommet du couloir. 800 mètres entre 45 et 50 degrés en neige de printemps juste décaillée ! Ce couloir, malgré son accès aisé, reste impressionnant. Bien pentu et surplombé d’un sérac, c’est vraiment de la pente raide. Ce 21 mai, on était les premiers, mais derrière nous, il y avait foule. Les jours suivants, jusqu’à 30 personnes se retrouvaient dans le couloir dans la même matinée. Je ne me suis pas vraiment senti à ma place. Beaucoup trop de monde sur un petit secteur, pas vraiment ma vision de la montagne.
Dix jours après, les conditions semblent toujours correctes sur le versant italien du mont Blanc, le versant « himalayen » du massif.
Arrivé au petit bivouac de la fourche, on constate qu’en face Est, seul l’éperon de la Brenva est encore skiable, alors feu ! Levé 00 h 15… Dur ! On choisit de remonter l’arête Kuffner au mont Maudit, un itinéraire moins exposé aux séracs que l’éperon de la Brenva, mais plus varié à la montée. L’arête est remontée efficacement et, à 6 heures, on est au sommet du mont Maudit. Un peu de repérage depuis le col de la Brenva pour trouver l’entrée dans le dédale de séracs et de crevasses que déjà la neige commence gentiment à décailler. Le timing pour skier l’éperon dans de bonnes conditions nous impose un départ du col à 4 450 m. Malheureusement, cette fois-ci, il n’y aura pas de ski depuis le sommet du mont Blanc.
Du col jusqu’au sommet de l’éperon, ça zigzague facilement entre les séracs et, en moins de deux, on arrive en haut de la grande pente. Ambiance garantie ! La neige est excellente, moquette 4 étoiles de haut en bas. Le secteur est impressionnant avec des séracs des deux côtés, gros comme des immeubles. On est passé par le couloir Gusfield en bas de l’éperon, la partie la plus raide de l’itinéraire où la glace affleurait par endroits.
La longue remontée en peaux jusqu’à l’aiguille du Midi nous permet de souffler. Le confinement est loin derrière, le printemps semble lui aussi en fin de course. Cette dernière descente représente vraiment le ski que j’aime. Un coin sauvage, une descente presque intime avec la montagne. Maintenant, place à l’été. Il est temps de ranger les skis après cet hiver en demi-teinte et ce printemps inespéré. Alors, si le confinement et la crise vont sans doute changer notre façon de vivre et de consommer, l’attrait de la montagne lui, n’a pas changé.