Interview Remco Kayser :
le couteau Suisse air lines

Un nouveau crows pointe le bout de ses spatules dans l’escadron. Remco Kayser a les ailes bien aiguisées. Le Suisse découpe tout sur son passage et façonne l’image du ski libre depuis des années. Haut dans les airs, loin des contests, le style en ligne de mire, cet éternel rookie est tourné vers l’avenir. Rencontre à Genève.

Salut Remco, peux-tu nous dire deux mots sur ton parcours de skieur ?

J’ai 26 ans, je suis né en Suisse de deux parents Néerlandais. J’ai commencé le ski très tôt avec eux et j’ai continué avec une association qui proposait aux jeunes citadins de Genève de faire du freestyle. J’ai commencé à devenir meilleur, j’ai intégré des équipes régionales puis j’ai été pris dans l’équipe nationale Suisse de ski freestyle. J’ai évolué sur le circuit coupe du monde en slopestyle pendant quelque temps puis je m’en suis lassé. Je me suis rendu compte que ce sport devenait très athlétique, très robotisé, soumis à beaucoup de stress. Mon plaisir diminuait, submergé par la pression du résultat. Je me suis cassé le genou et mon temps d’absence m’a donné à réfléchir… j’ai décidé de tourner la page. De retour après une grande pause d’un an sans ski, j’ai repris le ski avec l’esprit éclairci. On a commencé à filmer avec mes potes et notre équipe, la“Buldoz Life”. Inspiré par les grosses productions, attiré par les belles images, mes objectifs avaient changé de cap. Pour moi c’est à ce moment là que j’ai donné un sens à ma vision du ski. Notre premier film est sorti au bout d’un an. J’étais devenu un skieur libre et je sentais qu’il fallait que je continue sur la voie de l’image.

J’ai cru comprendre que vivre à Genève t’avait donné des ailes pour te dépasser ?

C’est clair et net. Je me suis vite rendu compte qu’il me fallait un équilibre pour réussir. Trop d’études et je deviens fou, trop de ski et je ne suis plus dedans. Je suis influencé par le milieu citadin de Genève que j’apprécie particulièrement, mais skier est essentiel à mon bonheur, alors à chaque fois que je monte skier je suis plus motivé que jamais pour m’engager sur les tables et sur les modules urbains. Et cette motivation m’a aidé à atteindre des objectifs que je pensais inatteignables auparavant.

photo @Mateusz Bocian

Qu’est ce qui t’inspire en dehors du ski ?

Je fais du vélo, de l’escalade, je reste actif en nature quand je ne suis pas sur la neige. A Genève, je m’inspire d’artistes qui font de l’image beaucoup plus poussée que dans le milieu du ski, j’aimerais développer ce côté là dans nos films. Internet m’inspire beaucoup, c’est un milieu riche dans lequel je puise mon inspiration pour poster du contenu ski original sur mon compte Instagram (@remco.mov). J’aime voyager, dès que l’occasion se présente j’en profite pour aller en Hollande, déconnecter, voir ma famille près d’Amsterdam. C’est important pour moi d’avoir un équilibre entre le ski et mes activités en dehors pour garder la tête froide et revenir meilleur sur les planches le jour d’après.

Et sinon, comment tu paies les factures ? Un autre métier ou des études ?

Je fais des études en économie politique à l’université. J’ai un deal avec eux qui me permet de déplacer mes examens à l’été pour pouvoir skier un maximum l’hiver. En dehors de ça, je suis juge sur les coupes du monde et les coupes d’Europede slopestyle. J’ai récemment fait une pub pour une bouteille d’eau allemande avec Victor Delerue et Sam Anthamatten. Je suis aussi “parrain” et coach des jeunes freestyleurs de Genève avec l’ALSF (Association Lémanique des Skieurs et snowboardeurs Freestyle). Ils m’ont tellement donné étant gamin que je suis fier de leur rendre la pareille, transmettre et inspirer les futurs talents me plait énormément. Globalement j’arrive à me débrouiller comme ça. Tant que ça paye mes trips à l’étranger pour ramener des belles images et faire des films avec les copains je suis heureux. Actuellement je me pose beaucoup de questions sur la suite de ma vie, c’est une période de doute qui reflète la situation que l’on vit je crois… mais la seule chose certaine c’est que je souhaite m’orienter vers un métier qui me permettra de continuer à skier et garder ma passion intacte.

photo @Mateusz Bocian

Comment s’est passé cet hiver pandémique en Suisse ?

Si je prends du recul je pense que nous n’avons été que très peu impactés par rapport à la France. Les remontées mécaniques sont ouvertes, et les gens bossent très bien. Il y a un certain nombre de restrictions mais le seul truc qu’on pouvait vraiment faire cet hiver c’était skier. Pour ma part j’ai fait énormément d’urbain et de backcountry pour notre prochain film avec le Buldoz Life (@buldozlife) donc on a passé beaucoup de temps en dehors des stations, dans les montagnes profondes et dans les rues. Et le ski en petit groupe à été une chose que l’on a pu continuer à faire en liberté. J’ai quasiment fini ma vidéo part de street à l’heure qu’il est. Encore un hiver plein de projets et de purs souvenirs sur les skis.

Et justement, quelle est la recette d’un bon segement film selon toi ?

Pour moi un beau segment commence avec une bonne musique, qui colle avec l’ambiance que tu souhaites donner. Des chutes, c’est important de voir les chutes. Montrer comment on en arrive à l’image finale selon une suite logique d’échecs jusqu’à la réussite. De l’humour et surtout pas de snowpark. J’aime passer du temps au park mais c’est presque des journées de repos pour moi. Ça me permet de peaufiner mes idées, de décompresser sans caméras et de me faire plaisir. Mais toutes les images qualitatives d’urbain, en backcountry et en freeride, je les garde pour nos films qui sortent en Octobre chaque année et qui sont projetés dans les festivals quand la situation le permet. Notre dernier film a été projeté en direct sur le site de Newschoolers.com sous un concept de festival virtuel pour parer aux annulations dues au Covid et ça a cartonné,on a jamais eu autant de vues que ce jour là. Internet booste notre notoriété, il faut bien voir les bons côtés de cette crise parfois…

Gagner le Super Unknown Contest de Level 1 c’est le graal  de tout skieur freestyle ! Comment as-tu vécu cette expérience et qu’est ce que ça à changé pour toi ?

C’était clairement le plus beau mois de ma vie. Je suis d’abord parti aux Etats Unis faire un road trip. On a commencé par aller skier à Mammoth en Californie, avec tous les skieurs qualifiés pour la finale histoire de se rencontrer en amont et skier le plus gros snowpark du monde pour le plaisir. En tant qu’européen ca a toujours été un rêve d’aller skier dans cette station mythique. C’était le plus beau voyage que j’ai fait, j’étais comme un gosse là-bas. Ensuite on s’est tous retrouvés dans le Colorado pour faire la finale. Une semaine de challenges sur des modules massifs ou chacun se pousse à faire les meilleurs tricks possibles et ce sont les riders eux mêmes qui votent pour leurs trois skieurs préférés. J’étais super ému de gagner ce concours et tout s’est enchaîné de la plus belle des façons. Une semaine après, grâce à cette victoire, j’étais invité par Josh Berman en personne, le patron de Level 1. Direction le Canada sur leur park shoot de fin de saison avec mes idoles du freeski pour célébrer la fin de leur film. Tout ça est arrivé à un moment où je commençais à croire que j’allais skier de moins en moins, que je devais peut-être passer à autre chose dans ma vie. Un incroyable retournement de situation en somme.

Ça t’as donc permis de faire un segment pour le dernier film de Level 1  intitulé “ROMANCE”, des souvenirs incroyables non ?

J’ai eu énormément de chance car c’était leur dernier opus oui. Ils ont depuis orienté leur production sur des vidéos commerciales pour les marques de ski et autres. Je suis arrivé juste à temps pour filmer au moins une part dans ma vie avec eux. Des moments inoubliables où j’ai ridé les plus beaux modules de ma vie avec des gars que j’admire depuis si longtemps. C’est un vrai honneur et un coup de boost dans ma carrière d’avoir réussi à en arriver là.

Le film From Switzerland with love produit par Laurent Demartin et Titouan Bessire est une des plus belles réalisations de l’hiver selon moi. Parle nous un peu de ce qui t’as motivé à participer à ce projet 100% local dans la région Dents du midi en Suisse.

Laurent Demartin est un super bon pote avec qui je skie souvent. Je l’admire depuis longtemps, et c’est depuis devenu un très bon ami. Il faisait partie des films Level 1 chaque année. Quand ils ont arrêté, il a voulu se lancer en solitaire pour réaliser son premier projet film. J’étais super motivé, j’ai répondu positivement de suite et j’ai fait une part en street avec lui pendant trois semaines, que du bonheur de réaliser tout ça ensemble. C’est un condensé de ski urbain sur des spots abandonnés à la recherche de lieux insolites et sur des  kickers backcountry. Le film dure trente minutes, l’idée était de montrer le potentiel de nos vallées sans aller skier à l’autre bout du monde. Valoriser et interpréter à notre manière les possibilités sur des installations urbaines construites pour un tout autre intérêt que le ski. On a eu de super retours sur cette aventure qui nous tenait à cœur, je conseille à tous les lecteurs d’y jeter un œil !

Est ce qu’on peut dire que Laurent Demartin et Nicolas Vuignier ont montré la voie de la réussite internationale en Suisse ou est ce qu’il faut remonter à Mickael Descheneaux, les origines ski acrobatique Suisse ?

Laurent et Nico Vuignier ont clairement mis en avant la Suisse sur la scène internationale ces derniers temps via les films et les réseaux sociaux. Leur créativité, leur engagement et leur folie les ont fait connaître auprès d’un large public et ils ont réussi à séduire les grandes boites de productions de ce monde, je m’en suis vraiment inspiré étant plus jeune. Les gars du Crewstacez et Awone films ont aussi été une énorme source d’inspiration pour moi. De nos jours, les jeunes ne savent pas qui était Mick Deschenaux, mais il a cartonné il y a bien longtemps sur les gros contests de l’époque. Il avait lancé le mouvement dans un contexte moins médiatisé, plus underground. Pour ma part, c’est Laurent et Nico qui m’ont poussé à rider toujours plus fort et voir les choses en grand.

Le “Buldoz Life”, c’est le style et la désinvolture en bande organisée. Vos films surfent sur une tendance décalée et créative. Tu peux nous parler de ton équipe et de votre organisation ?

On se connait depuis longtemps, chaque membre vient d’un endroit et d’univers différents, ce qui nous a réunis c’est le ski. On est un groupe de huit. On a tous eu un ras-le-bol général des contests en simultané, puis à force d’en discuter ensemble, on a acheté notre première caméra, on s’est mis à filmer et on s’est amusé avec l’image. On a filmé en street pour la première fois, ça nous a donné des ailes pour faire toujours mieux chaque jour. On a sorti notre premier film intitulé “Saturne” en 2017, et on produit chaque année depuis un film qui sort en Octobre et qui fait le tour des festivals autant que possible. On adore se balader l’été pour repérer des nouveaux spots. Globalement il y a une bonne entente entre les riders en Suisse, ce qui permet aussi de s’échanger les bons plans pour aller filmer sur des nouveautés. Cet hiver on est parti sur un coup de tête à Madrid en Espagne suite aux chutes de neige historiques de début Janvier pour skier là-bas. On a roulé pendant 16 heures pour s’y rendre et on a passé 10 heures sur Google Street View pour découvrir les possibilités de cette ville, noter les adresses et rider, la technologie nous aide énormément de nos jours. Une sacrée expérience que de réussir à traverser les frontières et aller jusqu’en Espagne dans un contexte pandémique et de panique vis à vis de la neige. Les gens ont un peu halluciné de nous voir skier mais c’était une catastrophe pour le pays et les autorités avaient d’autres problèmes à régler alors personne ne nous a embêtés. On est sur le montage du film en ce moment alors je ne vous en dis pas plus mais on a hâte de vous montrer tout ça…

Tu as récemment pris la première place de la Nendaz Freeride Backcountry Invitational et ta ligne était impressionnante ! Tu vas évoluer aux côtés de skieurs de pentes raides et autres loups de haute montagne chez Black Crows. Est ce que cela te donne envie de skier des faces engagées et de faire plus de freeride à l’avenir ou tu vises plutôt les rues de Chamonix la nuit ?

Je fais de plus en plus de ski dans le raide, dans des pentes un peu engagées et je kiffe à fond. J’aime le freeride mais je mets un point d’honneur au côté joueur du ski, je chercherais toujours à faire des corks 3 sur les barres, des butters sur des transitions et trouver des lignes ludiques et uniques. Je me réjouis à l’idée d’intégrer la team blackcrows pour continuer d’enrichir ma technique, mon approche alpine, et apprendre des choses en montagne.  J’ai adoré l’accueil de Flo Bastien dans la team donc je suis impatient de rencontrer tout le monde et rider avec eux. J’ai discuté avec Julien Lange qui est un copain et un gros skieur Backcountry. On a déjà évoqué l’idée de faire des images ensemble à Tignes chez lui l’an prochain, donc de beaux projets en perspective.

Comment vois-tu l’avenir ?

Je garderai toujours un pied dans le ski même si je m’en écarte à un moment de ma vie. J’ai envie d’entretenir la flamme qui fait vivre la culture du freeski en Suisse, donner de moi même à cette association qui m’a permis d’arriver là où j’en suis aujourd’hui. Coacher les jeunes de Genève et leur permettre à leur tour de réussir en ski serait une fierté dans ma carrière, une façon pour moi de boucler la boucle avec l’association Lémanique des skieurs et snowboardeurs freestyle qui m’a vu grandir. On verra où mes spatules me mènent.

 

Un échange fait et recueillit par Maxence Gallot

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