the ghost ski resorts |
chapitre deux | Fortress |
le making of

Pour fêter l’arrivée de ce deuxième opus de notre série des Ghost Resorts, on revient avec quatre protagonistes de cet épisode sur ce qui les a le plus marqué dans la réalisation de ces images.

Une expérience paranormale dans le monde feutré des stations fantômes.

retour à Fortress

Mark Abma et Callum Petit partagent sur le spot une vision de riders, mais très différente l’un de l’autre. En effet, Mark visitait régulièrement Fortress quand il courait sur le circuit de bosses, tandis que Callum n’était jamais venu, il avait juste entendu parler du spot abandonné par des potes skieurs qui avaient shooté sur le tournage de Inception. “J’ai grandi en Colombie Britannique, ce n’est pas vraiment le genre d’endroit qu’on fréquente, les montagnes rocheuses coté Alberta, c’est plus un coin pour les skieurs venus de Calgary.”

De l’autre coté de la caméra, Bryan Smith, de Reelwater Productions, ne connaissait pas non plus le spot et confirme les propos de Callum : “Ce coin des rocheuses n’est pas vraiment un endroit où on va skier quand on habite à Whistler ou Vancouver, on ne se dit jamais eh, allons skier en Alberta !”

Pour Abma, le retour à Fortress après 20 ans était un peu spécial, après 10h de covoiturage avec Callum depuis le Coastal Range : “Retrouver la station fantôme était étrange, car en fait rien n’a changé. Ce sont les mêmes pistes, le vieux lodge est toujours là, sauf qu’il n’y a personne.”

Bryan rajoute, sur sa première impression, “On dirait vraiment que, quand Fortress a fermé, les gens sont partis comme après un jour normal, dans leurs voitures, pour ne jamais revenir.”

Mark se souvient bien de ses voyages à Fortress entre 1988 et 2000. Il venait là deux ou trois fois par an :

“Tous les skieurs de bosses d’Amérique du nord se retrouvaient à Fortress pour les compétitions, c’était de gros évènements. En plus à cette époque il y avait les épreuves de ski acrobatique en même temps, il se passait toujours quelque chose. Le bâtiment principal était particulièrement bruyant et animé, on était 100 ou 200 athlètes à se retrouver là, il y avait des fêtes du tonnerre.”

Pendant le tournage, tout le monde s’installe à Kananaskis Village, qui est une station touristique plus qu’un endroit vraiment habité à l’année (la ville la plus proche est Canmore, un peu plus au nord). L’équipe prend tous les matins la route goudronnée jusqu’à Fortress Junction, puis une piste forestière jusqu’à la station, une grosse demi-heure de trajet en tout. Une barrière barre la piste, pour éviter que n’importe qui puisse monter sur une route entretenue pour l’instant par les opérateurs du cat ski. Mais même sans les clés pour monter en voiture, les amateurs de ski de rando sont nombreux dans le coin.

La chance sourit aux chasseurs de fantômes.

Callum raconte : “On est arrivés sous la neige, et le premier jour où on est montés il faisait grand bleu. On avait l’impression d’être vraiment seuls, il n’y avait personne aux alentours, d’autant qu’on était en pleine période de COVID, ce qui rajoute quelque chose de fantomatique au tournage d’un Ghost Resort”

Bryan rajoute : “Le premier jour, on est passés devant le lodge sans le voir, il était complètement recouvert de neige. On nous avait avertis que même tard dans la saison, les conditions ici sont habituellement assez bonnes, tout le monde nous avait dit de venir fin avril/début mai.”

Une station peuplée de fantômes et d’irréductibles 

Quand Bryan et l’équipe de Reelwater productions commence à chercher une station pour Ghost Resorts dans l’ouest du Canada, à la demande de Camille Jaccoux, ils tombent très vite sur Fortress. Tout y est encore en place, le lodge, les télésièges, etc. “On a vu des vidéos YouTube et on a réalisé qu’elles dataient de l’été précédent, toutes récentes.” Raconte Ryan. “Tout le monde nous a dit de parler à Malcom, de Sherpas Cinema, car beaucoup de films et de publicités étaient tournés là-haut.”

Malcom les dirige vers Chris « Chevy » Chevallier, et leur dit que ça pourrait faire un bon personnage pour raconter l’histoire du lieu. Il rajoute : “Et puis il y a ce type, qu’on appelle Mountain Mel.”

Parmi ces figures qui nous éclairent sur le passé de Fortress dans la vidéo, il y a Rob Stevens, un snowboardeur mythique que tout le monde connait au Canada. Il a grandi pas très loin de Fortress, et il est devenu plongeur dans un restaurant de la station, comme il l’explique dans le film. À la fin des années 70, il n’y avait pas beaucoup de snowboardeurs, et il était ce qu’on peut trouver de plus proche d’un «pro». Tout ceci fait qu’il représente bien l’esprit des pionniers de Fortress : il travaillait là, vivait là, tout le monde le connaissait.

Et puis bien sûr il y a Mel. Callum raconte :

“on l’a rencontré là-haut, il vit dans son camion, je pense que ça a été un bon skieur mais aujourd’hui c’est simplement quelqu’un qui vit là et qui adore le spot. Il est super sympa, très attaché à cet endroit, dans lequel il a passé tellement de temps tout seul. Du coup il adore avoir de la compagnie, des gens qui viennent ici, il a envie de leur montrer à quel point c’est génial.”

Un terrain marqué par le passé

“Les Montagnes Rocheuses sont très différentes de celles dont j’ai l’habitude ici, sur le Coastal Range,” raconte Callum. En effet ici tout est plus raide, plus acéré, et moins arrosé. “Les Rocheuses forment vraiment des montagnes impressionnantes, avec ces sommets géants dans toutes les directions. Le terrain est à couper le souffle.” s’extasie Bryan Smith.

Aujourd’hui le ski le plus évident à Fortress, c’est de profiter des pistes désertes, qui n’ont pas été damées depuis presque 20 ans. Callum :

“On a principalement ridé les runs qui avaient été coupés dans les bois pour faire des pistes à l’époque. Il y a de super clairières sur l’arrière de la station, et on a aussi marché jusque sous le gros rocher qu’est Fortress, il y a une vue magnifique sur l’ancien bâtiment depuis là-haut, même si la neige n’était pas excellente car on était le dernier jour du trip et les températures avaient remonté.”

Pour Abma, “ce n’est pas forcément un terrain incroyable, mais il y a du très bon ski de forêt, et de super canyons à rider, très surf dans l’esprit. Et puis si tu mets les peaux, il y a un terrain alpin vraiment majeur au-dessus de la station, jusqu’à la montagne de Fortress qui peut elle même être skiée. J’avais toujours rêvé d’avoir une station pour moi tout seul, et j’ai pu retrouver tous les bons spots, je m’en souvenais après toutes ces années.”

Et quand on vient plus tôt dans la saison, on peut même profiter du catski : Fortress Mountain Holdings a obtenu le bail pour la zone en 2010 et Chris Mueller et Chevy gèrent les opérations sur le terrain au jour le jour, avec KPow Cat Skiing, qui a démarré en janvier 2012.

“Ils font ça en attendant de compléter le capital d’investissement qui permettra de rouvrir les remontées,” explique Bryan.

Les challenges d’un tournage chez les fantômes

Tout le monde est d’accord, la première difficulté, c’est le vent. “Il souffle de folie, surtout sur les crêtes. Quand il shootent des films, les tentes s’envolent et les acteurs se les gèlent.” raconte Callum.

Pour autant les riders ont pu profiter des bonnes conditions post tempête le premier jour de tournage, même si ça s’est un peu gâté après.

Le deuxième challenge, c’est de travailler avec les locaux. Chris et Chevy sont habitués à des tournages hollywoodiens, des opérations qui paient 10000$ la journée.

“On avait un peu peur de les effrayer avec notre idée de Ghost Resorts,” détaille Bryan, “mais ils nous ont dit que si on venait à la fin de la saison, quand le catski était terminé, on serait bien reçus”.

Et une fois sur place, “on n’a eu besoin que d’une petite journée pour les chauffer” : il faut dire que ramener Mark Abma et Callum Pettit pour shooter à Fortress a fait quasiment plus d’effet que Leonardo DiCaprio (qui est venu affronter les conditions locales sur deux tournages différents).

Deux jours après leur arrivée, l’équipe entreprend de rentrer dans le bâtiment principal, le « day lodge ». “Au début Chevy ne voulait pas, c’est vrai que c’est potentiellement dangereux, mais on savait que ce serait la pièce centrale du film, c’est un bâtiment tellement emblématique, de par son architecture, la grande cheminée en cuivre, et sa forme d’étoile, avec tous ces animaux empaillés, les rouleaux d’ancient forfaits, etc.”s’enthousiasme Bryan.

“Normalement quand tu filmes du ski, tu te concentres sur l’action, être sûr que tu as des plans de ski qui fonctionnent et qui impactent. Mais là, il nous fallait aussi des plans intelligents et esthétiques qui montrent cet endroit comme une station vide, un ghost resort. On voulait montrer ce que ça avait été et ce que ça pourrait devenir. C’est un vrai défi, pour un réalisateur, de montrer des bâtiments qui sont vétustes, abandonnés, mais tout en donnant au spectateur les clés de ce que ça a pu être par le passé, retranscrire l’énergie du lieu.”

Le plan préféré de Bryan est ainsi le tout premier de cet épisode. On y voit un bureau pour acheter des forfaits, et la montagne de Fortress en arrière plan. “Pour moi ça illustre les intentions qui ont fait cette station : quelqu’un a mis cette fenêtre de telle sorte qu’on voit la montagne derrière.”

Le futur d’une station fantôme  

Le collectif d’une quarantaine de personnes qui a racheté la station est en train de finaliser des montages financiers pour le projet avec plusieurs groupes intéressés. Le budget de la première phase du réaménagement, qui permettrait d’ouvrir les premières remontées, se situe entre 30 et 35 millions de dollars canadiens (20 à 25 millions d’euros), et les permis du gouvernement provincial pour la phase 1 sont déjà finalisés. “Notre objectif est d’ouvrir les remontées mécaniques d’ici décembre 2023. Nous ferons une annonce officielle une fois la date confirmée,” précise Chris Mueller.

Tous sont agréablement surpris par la quantité de soutien que ce projet de réaménagement reçoit et par la passion qui existe encore chez les skieurs et les snowboardeurs qui ont connu Fortress à l’époque.

“On s’attendait à ce que certains préfèrent que le réaménagement n’ait pas lieu, mais le soutien dont nous avons bénéficié jusqu’à présent est écrasant,” raconte Chris Mueller. “Nous faisons de notre mieux pour écouter et prendre en compte toutes les préoccupations qui nous sont présentées et nous essayons de les intégrer dans notre planification du réaménagement.”

Car pour ces passionnés, il est impératif de s’assurer que cette réouverture se fasse dans le plus grand respect de l’environnement et des hommes qui vivent ici et dont ils font partie.

Callum raconte : “Il y a un truc vraiment cool, c’est qu’il y a un énorme lac d’eau potable, alimenté par un glacier souterrain qui se trouve sous la montagne de Fortress. Du coup il y a de l’eau naturellement pure à volonté là-haut, et ils en font même une super bière locale.”

Mark Abma résume : “J’aimerais bien que cette station revive, déjà parce que ça a été une station à une époque, ce n’est pas comme d’en construire une nouvelle au milieu de la nature. Il y a des attaches sentimentales de pas mal de gens pour ce spot. Et comparé à l’Europe, ici on a très peu de station et beaucoup, beaucoup de place. Et puis l’équipe qui veut rouvrir la station a une super vision, ils veulent en faire un endroit vraiment axé sur le ski familial. Il n’y a pas vraiment de station avec des logements dans ce coin des montagnes rocheuses, ce serait super d’offrir ce type de ski aux plus jeunes et aux familles.”

Comme le dit Rob Stevens à la fin de cet épisode, “si tu es allé à Fortress et que tu en a gardé des souvenirs, tu as laissé une part de toi ici. Cette petite partie de la station incrustée dans le cœur de ses visiteurs est illustrée par les différents tags qu’ont voit sur les murs des bâtiments abandonnés, près de 20 ans après : “I was here” ou “Fortress forever”.

Bryan Smith conclut : “Il y a des raisons pour lesquelles Fortress a fermé, mais c’est un endroit qui pourrait facilement être une station à nouveau.

“Même si c’est une station fantôme, on peut ressentir l’énergie du passé, on peut voir la culture du ski. C’est nostalgique d’un certain coté, on peut imaginer comment ça a été, mais c’est aussi positif : pas besoin de voir les gens pour ressentir cette culture. Au final cet épisode peut parler à beaucoup de monde. C’est quelque chose d’universel, qui rappelle à chacun son passé de skieur, et qui fait ressentir cette énergie même si le lieu est aujourd’hui complètement vide.”

 

Pour aller plus loin, retrouvez notre live sur YouTube avec Mark Abma, Callum Pettit, Chris Mueller et Chris Chevalier :

 

interview menée par Mathieu Ros

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