Sur les traces d’Andreas

Les frères Jirka et Ondra Svihalek, deux éminents grimpeurs et skieurs de pente originaires de République tchèque, ont mis le cap au grand nord pour découvrir les joyaux verticaux des massifs norvégiens. Pour se guider dans ce dédale de couloirs sublimes, ils ont suivi les traces d’Andreas Fransson, mentor du ski extrême, emporté par une avalanche avec son compagnon de cordée JP Auclair le 29 septembre 2014*. À travers le récit de deux grandes répétitions, ils rendent un vibrant hommage aux chers amis disparus…

* L’accident s’est produit sur le mont San Lorenzo à la frontière argentino-chilienne alors que les deux skieurs préparaient un film.

Notre road trip norvégien fut l’une de ces aventures qui marquent une vie. Pendant 46 jours, nous avons parcouru la Norvège du sud à l’extrême nord en aller-retour. Nous avons été bénis par du ski au-dessus de fjords aux eaux bleu sombre, au cœur d’un monde étrange parsemé d’îles enneigées, au-dessus d’une toundra arctique paraissant infinie, autour de monolithes de granites et à travers des glaciers scintillants et leurs nunataks.

Sur les traces d’Andreas Fransson (1) : Kuglhornrenna à Efjord

Notre voyage printanier de sept semaines à travers la Norvège nous a menés dans la région de Narvik. À cela rien d’étonnant. C’est ici que naît l’archipel des Lofoten. Et comme Andreas Fransson a parcouru cette région voilà quelques années, nous avons décidé de suivre ses traces. Le Suédois, chamoniard d’adoption, ne se contentait pas d’être un skieur exceptionnel, il était également doté d’un esprit généreux qui le menait fréquemment à des considérations philosophiques. Ainsi, après sa chute et son accident dans le couloir en Y à l’aiguille Verte, il s’était interrogé sur les notions de sécurité et de gestion du risque dans le ski de pente raide. Il tenta de débattre publiquement de cette problématique et d’influencer la communauté du ski de pente sur la responsabilité individuelle et la sécurité en montagne. Il chercha en ce sens à engager une prise de conscience de la communauté du ski dans son ensemble sur ces aspects.

En dépit de principes stricts sur la sécurité, il continuait à chercher de nouvelles lignes extrêmes et de nouveaux défis à travers le monde. Au cours des deux dernières années de sa vie, il s’était associé au skieur emblématique de freeride JP Auclair auquel il avait ouvert l’univers du ski extrême. Les deux compagnons de cordée ont ainsi skié des lignes exceptionnelles en Scandinavie et notamment à Narvik et Lyngen.

La première de ces lignes, le couloir nord-ouest de Kuglhornet, se détache très bien depuis l’autoroute E6 qui traverse la Norvège de part en part. Tout alpiniste ou skieur est forcément attiré par ce couloir de neige très étroit qui plonge à travers un mur de granite telle une lame de couteau dans une motte de beurre…

À première vue, ledit Kuglhornet paraît inskiable, trop étroit et trop raide. Mais si vous traversez marécages et landes le long de la côte d’Efjord jusqu’au pied de la face, vous comprenez non seulement que le couloir est skiable, mais qu’il s’agit d’une véritable pépite du ski extrême norvégien. Cette beauté de 50° de verticalité se niche dans un couloir de 4 mètres de large sur 400 mètres de long au cœur d’une magnifique paroi de granite – voilà la géométrie naturelle en pratique !

Nous étions sous pression pendant la montée car une barrière de nuage approchait rapidement depuis les massifs des îles Loft en direction d’Ofotfjorden. Pour corser l’affaire, toute la partie gauche du couloir était couverte d’une cascade de glace, ne laissant que trois mètres de largeur skiable. Nous avons donc mis le turbo pour arriver au sommet avant les nuages.

Heureusement, l’orage est passé à environ quatre kilomètres et nous avons pu tranquillement profiter de la vue exceptionnelle sur toute la mer alentour et sur Kuglhornet. Nous surplombions les majestueux fjords de Tysfjord et de Efjord et l’impressionnant monolithe de Stetind. L’ambiance était composée de trois couches : la mer bleu profond, des marais aux tons vert marron et un univers cristallin de neige et de glace au sommet de tout ça.

Nous pouvions maintenant nous préparer sereinement à la descente et profiter d’une super poudreuse sur le sommet. Mais le point de rupture approchait rapidement : quelle serait la perspective à l’aplomb du couloir ? Comment allions-nous réagir skis aux pieds ? Si certaines personnes estiment que l’appréhension du vide est moins vive dans un couloir étriqué, laissez-moi vous dire que ce n’était pas du tout le cas. Cette saloperie d’entonnoir courrait jusqu’en bas, de manière horriblement rectiligne et, bordel, c’était sacrément expo !

Au diable, on bloque les fixations et on s’engage doucement pour tester le manteau neigeux. Pour moi ça a l’air bon, les carres accrochent bien la surface, le gros danger vient surtout de la goulotte de glace à notre droite.

Virage sauté après virage sauté, totalement concentrés, nous sommes parvenus jusqu’en bas. Confortablement installés dans l’herbe sur des oreillers de mousse, nous pouvions célébrer notre couloir le plus difficile. Et si 50° de pente vous paraissent un jeu d’enfant, je vous conseille d’essayer la même verticalité dans un maudit couloir hyper étroit de 400 mètres de long.

Par dessus et par dessous Kuglhornrenna.

Sur les traces d’Andreas Frisson (2) : Gangnesrenna à Skjomen

Andreas et JP avaient skié quatre superbes lignes autour de Narvik. Mais notre objectif était de dépasser Narvik pour explorer d’autres destinations. Les Loft et les Lyngens nous tendaient les bras et nous voulions trouver une nouvelle ligne skié par Andreas. Ce fut relativement facile : grâce à notre excursion de l’été précédent consacré à l’escalade, nous savions qu’à l’extrémité du fjord de Skjomen se cachait un joli morceau de ski. Un morceau d’une telle ampleur qu’il n’existe rien de comparable à travers tous les territoires du nord et dans le comté de Troms. C’est donc là-bas que nous avons mis le cap.

Le Gangnesaksla est un sommet relativement insignifiant dans le massif très glaciaire de Frostisen. Cependant, sa face offre une descente exceptionnelle : 1 000 mètres d’une dalle de granit épuré émergeant de la mer. Tout le long de sa circonférence de 5 kilomètres, on trouve de larges sillons espacés par d’immenses dalles. Mais la plus large de ces rainures forme un seul et long couloir, il s’agit de Gangnesrenna, l’un des plus longs couloirs de toute la Norvège.

Si vous montez en randonnée en suivant des chemins détournés jusqu’au bord du glacier de Frostisen avant de rejoindre le sommet de Gangne, vous découvrirez un environnement naturel éblouissant en trois dimensions : une mer calme sur l’horizon, une falaise de granite lisse sur la perpendiculaire et une diagonale de neige escarpée conduisant au couloir. Des tours de granite en toile de fond et votre objectif au milieu : un couloir de plus d’un millier de mètres et une déclivité de 35-40° se jetant directement dans la mer. Seul ombre au tableau : des corniches chargées constamment au-dessus de vos têtes. Mieux vaut donc choisir une journée froide et nuageuse…

Si tout se combine parfaitement, vous pouvez profiter de descentes quasi infinies tandis que les eaux du fjord se rapprochent insensiblement. Avec de telles proportions, des parties que vous estimez faire 50 mètres se révèlent en faire 150. Vous commencerez votre descente dans une bonne poudreuse avant de finir dans de la neige extra-molle réchauffée par la mer.

À la fin de cette aventure, quand vous aurez finalement mis le pied sur le littoral, une belle balade vous attend le long des plages. Alors avec vos skis sur le dos, vous comprendrez sans doute que vous ne respirez plus l’air sec des montagnes, mais un air marin chargé d’iode…

Notes de voyage :

En termes de locomotion motorisée :
10380 kilomètres
179 heures de conduite

En termes de locomotion sur ski :
21 sommets à travers la Norvège
Plus de 30 000 mètres de dénivelé positif

Du sud au nord :

– Massif de Jotunheimen : Galdhøpiggen (randonnée classique sur le plus haut sommet norvégien).
– Hurrungane : Store Ringstind (randonnée classique sur une flèche de granite), Austanbottstind (vertigineuse corniche parcourue skis au dos, puis couloir nord 46°).
– Jostedalsbreen : Lodalskåpa (face nord-ouest 48°, plus haut nunatak situé sur le plus large glacier continental)
– Sunnmøre : Slogen (randonnée classique au-dessus d’un fjord, 40°), Store Smørskredtind (face nord-ouest 47°), Horninndalsrokken (à quelques mètres du sommet II UIAA, puis rampe sud 45°, exposée), Kolåstind (randonnée classique)
– Romsdal : Store Venjetinden (plus haut sommet du Romsdal, arrête nord 45°, exposé), Ystetind (randonnée classique)
– Rondane : Rondslottet (randonnée classique dans la toundra).
– Dovrefjell : Snøhetta (toundra, première moitié à vélo, seconde moitié à ski, le plus haut sommet norvégien en dehors du massif de Jotunheimen, muskox !)
– Narvik : Kuglhornet (l’un des couloirs les plus difficiles que l’on ait skié, incessant et étroit, 50°, exposé), Prestind (randonnée classique sur une arête magnifique), Stetind (la montagne nationale de Norvège, randonnée classique jusqu’au sommet), Gangnesaksla (immense couloir de 1 000 mètres plongeant directement dans le fjord, 40°)
– Îles Loft : Higravtinden (le plus haut sommet des Loft, couloir sud-ouest, 45°, exposé)
– Vesteralen : Stortinden (randonnée classique 40°)
– Alpes de Lyngen : Fornestind (couloir nord-ouest, 45°), Jiehkkevárri (plus haut sommet des Lyngen, couloir ouest 45°, 1 000 m – très alpin !)
Skjervøy : Store Kågtinden (montagne culminant à 1 228 mètres sur une toute petite île, descente directe jusqu’au port avec des baleines comme comité d’accueil !)

Tout cela grâce au fonds d’investissement DRFG, aux skis Black Crows, aux vêtements Mountain Equipment, au matériel d’avalanche Ortovox, au magazine Fri Flyt et quelques autres encore…

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