Saleinaz, un glacier dans le jardin

En 2018, deux amis basés en Suisse Occidentale définissent les bases d’un projet d’ascension vers des sommets avoisinant des territoires bien connus parmi les alpes valaisannes. Après bien des péripéties (dont un virus planétaire), un film ambitieux retrace leurs aventures.

Mathieu Schaer, expert en météorologie, adepte de freeride en splitboard et partisan d’une approche responsable, et Arnaud Cottet, juge en compétitions de ski freestyle, alpiniste globe-trotter passionné et producteur de documentaires, ont élu comme destination le Glacier Saleinaz, pointant à 3000m d’altitude dans la région de La Fouly.

Le glacier de Saleinaz – Couloir du Biselx dans les Aiguilles Dorées.

L’idée est de partir en expédition de freeride délibérément près de chez eux, plutôt que pour un sommet à l’autre bout du monde. Ils veulent montrer que l’ailleurs est aussi juste là, et commence aux pas de leurs portes, en Suisse. Non, il n’est pas forcément nécessaire de viser l’Alaska ou l’Afghanistan pour se dépayser.

Chambre avec vue. Pour camper nous avons choisi une seule grande tente. C’est plus lourd, mais bien plus convivial.

Pour capturer leurs prouesses, qui de mieux que leur ami et réalisateur Jules Guarneri. Bien qu’ayant juré d’arrêter de réaliser des films de ski pour passer à des productions ambitieuses et lucratives, Jules se retrouve embarqué dans cette aventure. Le skieur allemand Jochen Mesle, adepte d’aventure mêlant vélo et ski est lui aussi catapulté dans le projet suite à une brève rencontre avec Mat, décidément convaincant.

Mat Schaer, Jochen Mesle et Arnaud Cottet sur le chemin de la montée. Deux aller-retour sont nécessaires pour monter le matériel au camp.

Repoussée en raison de la pandémie en avril 2020, l’aventure débute finalement une année plus tard, même lieu, mêmes protagonistes. Après une première reconnaissance en hauteur qui leurs permet d’amener la tente, les sacs de couchages et du gaz, l’équipe profite d’un créneau météo de quelques jours pour s’installer durablement au coeur du glacier de Saleinaz. À portée de quelques foulées en peau de phoque, la face nord du glacier révèle ses jolis couloirs de neige fraîche parmi les séracs à l’esthétique épique.

Grâce à un moi de mai 2021 avec de fortes précipitations, le glacier de Saleinaz est bien rempli.

Les riders s’élancent, les objectifs sont pointés, et les belles images capturées dans la boîte. L’attrait du défi constitue la première motivation indéniable du projet.

Il y a les obstacles évidents à surmonter : naturels, géographiques, physiques et sportifs.

La météo joue comme toujours un rôle décisif. Les conditions d’enneigement sont exceptionnelles pour la période, et le temps presse : il y a un film à tourner, et les acteurs du projet ont tous un travail à côté de leur passion. Il faut donc braver les caprices climatiques (eux aussi exceptionnels en ce mois de mai 2021) en comptant sur l’espoir d’une fenêtre plus clémente dans le délai imparti.

Comme souvent durant la semaine, les sorties sont interrompues par le mauvais temps. Arnaud Cottet et Jochen Mesle

Sur un autre plan, il faut évoquer aussi des contraintes plus subjectives, relatives à cette expédition en particulier. L’équipe a cherché notamment à mettre en avant un aspect plus écologique de ce genre d’activité. Cette ambition se reflète dans le choix de la nourriture, par exemple, préférant les aliments frais aux produits lyophilisés, malgré le poids supplémentaire.

Arnaud Cottet au fourneau. Pas de plats lyophilisés et repas déshydratés là-haut, seulement des légumes du jardin et de quoi cuisiner de bons petits plats. Ça occupe et c’est bon.

Le choix du transport, par ailleurs : ni avion, ni hélico, motoneige, mules, bateaux ou autre solution de facilité. Et le choix de la destination, bien sûr : pas besoin d’aller si loin que ça pour trouver l’altérité et l’exotisme.

Montée dans le face nord de l’Aiguille d’Argentière en bonne condition pour Mat Schaer, Jochen Mesle et Arnaud Cottet.

Arnaud Cottet dans la face nord de l’aiguille d’Argentière

Cette idée de Mat et Arnaud leur semblait plus novatrice il y a trois ans, aujourd’hui légèrement banalisée par le COVID qui a vu pas mal de monde entreprendre des projets à la maison. Mais ça n’enlève rien à l’intérêt du concept et à son inspiration : si proche, c’est déjà loin, on accède à un univers radicalement différent, étranger et sauvage.

Arnaud Cottet et l’équipe en mode canyoning.

Pour ce qui est de l’approche narrative, c’est le quotidien plus banal des glisseurs qui est choisi en guise d’intrigue au documentaire.

Jochen Mesle fait la pause

Ce qui compte le plus pour Arnaud, Mat et Jochen, c’est tout le mode de vie qui mène aux traces qu’ils laissent là-haut dans la poudreuse. C’est dans ce tout que s’exprime leur passion : le bien-être de s’évader ne serait-ce qu’un peu, les petits conforts du campement, le microcosme social, la sérénité et l’intimité dans l’immensité montagnarde, les vues à couper le souffle au prix de l’effort physique, le sentiment de naviguer dans l’inconnu, le train-train de l’équipage à bord de l’expédition, la cuisine, le partage et l’amitié surtout, se retrouver parmi ses pairs à faire ce qu’on adore, le dernier El Dorado.

Caroline Christinaz (journaliste), Arnaud Cottet (skieur et producteur), Jules Guarneri (réalisateur), Mat Schaer (snowboarder et producteur), Levi Luggen (snowboarder et cameraman), Léa Klaue (snowboardeuse), Simon Ricklin (camera-man), Jochen Mesle (skieur) et David Malacrida (photographe)

Il s’avère que les discours des films de freeski ont passablement évolué au fil du temps. Aussi bien pour le public, les adeptes et les sponsors, les codes ne sont plus les mêmes. La performance et l’exploit sont parfois relégués à l’arrière-plan au profit de critères plus actuels : l’écologie, la gestion du risque, et l’aspect humain. Ce projet cherche à pourvoir un contenu de valeur en guise de fil conducteur entre panoramas époustouflants et performances extrêmes. Et il compte ainsi sur le subtil doigté de film et de montage que maîtrisent des professionnels tels que Jules pour déterrer et montrer les trésors de riche simplicité qui s’expriment d’une personne à l’autre, dans les dialogues comme dans les silences.

Jules Guarneri, réalisateur du film Saleinaz pose ses questions à Jochen Mesle.

Il n’y a certes aucun complexe à vouloir promulguer ce qu’il y a de plus commun ou anodin d’une activité si intrépide. Cette volonté provient peut-être aussi de ce que les médias et réseaux sont devenus aujourd’hui si avides de sensations, esclaves de l’effet wow. « Saleinaz » marque une volonté de retour aux origines gravitant autour de l’amour de l’aventure et le respect de la montagne.

À vous de voir.

 

Texte par Pierre Von Arx

Photos D. Malacrida/Saleinaz

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