Les îles magiques – Lofoten – 68° nord

Le ski au cœur des fjords norvégiens est une expérience unique. Ross Hewitt et Michelle Blaydon l’ont vécu pour la première fois et, à travers les mots de Ross, nous font partager avec émotion cette découverte de la magie septentrionale.

 

Ahhh, les montagnes magiques des Lofoten, nichées au cœur du cercle polaire arctique sur la côte ouest de la Norvège. Un relief très alpin avec des sommets élevés et des arêtes effilées surgissant de la mer. C’est sur cette côte déchirée que prennent naissance les fjords profonds avec leurs plages de sable blanc et leurs eaux émeraude. Ici, les caprices météos donnent naissance à des ciels d’une beauté saisissante.

Cela fait plusieurs années que nous souhaitons ardemment partir skier dans les Lofoten, pourtant chaque fois, une interférence nous a empêchés de franchir le pas. L’an passé, j’étais à un clic d’acheter les billets, mais la page météo adjacente m’a contraint à renoncer. Cette année, j’étais déterminé à partir et, grâce la présence sur place de nos amis Minna Riihimaki et Cédric Bernardini, nous avions des bulletins météo infaillibles. J’ai donc appuyé sur la détente pour 10 jours de voyage avec Michelle, laps de temps qui devrait nous donner assez de marge pour passer entre d’éventuelles mauvaises goûtes.

J’avais travaillé en tant qu’ingénieur à Stavanger en 2005 et il m’en restait des cauchemars sur le prix d’une pinte de bière. Je prenais donc les devants et achetais quelques litres de Malt Whiskey pour le séjour. Sachant qu’il est également coutumier d’apporter une bonne bouteille à vos hôtes, l’excuse était toute trouvée.

Pendant des siècles, la pêche a constitué la denrée alimentaire de base et elle demeure aujourd’hui une grande industrie du pays. Les morues du nord-est migrent chaque année de la mer de Barents pour frayer dans les eaux des Lofoten. Cette pêche miraculeuse est donc devenue un événement traditionnel qui contribue à la stabilité économique du pays. Les morues sont ensuite séchées sur de grandes structures que l’on aperçoit dans chaque port.

Ici, il est courant de croiser des poids lourds chaussés de pneus cloutés sillonnant l’impressionnant réseau routier de tunnels et de ponts qui traverse les fjords. Ce réseau permet en outre de rejoindre n’importe quel spot en moins d’une journée sans avoir besoin de se lever à l’aube. D’autant plus que les Lofoten sont l’un des rares endroits où les montagnes sont plus proches qu’elles n’y paraissent, ce qui met du baume au cœur quand on sait que 2-3 heures de randonnée suffisent pour atteindre un sommet. Si l’on ajoute à cela les départs tardifs, on a tous les ingrédients d’un voyage décontracté.

À l’instar de toutes les côtes ouest, les précipitations sont abondantes sur les Lofoten. Il chute en moyenne 1,3 mètre de neige par mois en janvier, février et mars. Nous avons décidé de partir mi-mars afin de profiter des neiges froides et des nuits plus sombres propices aux aurores boréales.

Pour camp de base, nous avons opté pour le magnifique Lofoten Ski Lodge tenu par Maren Eek Bistrup et le guide Seth Hobby. L’atmosphère chaleureuse et le calme nous ont permis de facilement basculer au rythme du grand nord. Le lodge, composé de petites cabanes individuelles au bord du rivage, se trouve à la pointe d’une baie idyllique entourée de sommets. Chaque matin, en tirant les rideaux, nous découvrions une vue exceptionnelle et Bob le héron occupé à sa pêche matinale.

La journée commençait par un gros petit-déjeuner censé nous tenir au corps une bonne partie du jour. Depuis notre table, nous admirions, ébahis, le lever de soleil sur l’océan et les montagnes magiques au-delà desquelles résonnait l’appel de l’aventure.

Nous avons tous vécu des moments de frustrations quand les voyages sont trop brefs pour chercher les bons spots. C’est là que les fines connaissances engendrées par Seth au cours de ses années de pratique dans le grand nord sont venues à notre secours. Sans une once d’égoïsme, il a partagé ce précieux savoir et nous a même renseignés sur quelques lignes encore jamais skié. Mais si un tel acte de générosité peut paraître bienveillant en circonstances normales, imaginez-vous offrir à un inconnu des lignes que vous avez patiemment étudié et soigneusement rangé dans votre mémoire, mais que vous ne puissiez pour l’instant les explorer. Seth s’était malheureusement blessé au genou en surf la saison passée et avait commencé la nouvelle en se fracturant le plateau tibial sur une pierre. Il ne pouvait ainsi prétendre à garnir son tableau de chasse pour le moment. En cela, je trouve son partage extrêmement généreux et j’espère que je le serais tout autant si nos rôles s’inversaient.

Puis un jour, revenant d’une nouvelle moisson dans son précarré, je rapportais des photos de trois magnifiques couloirs situés de l’autre côté du fjord. Impatient, je lui demandais si cela nécessitait une dépose en bateau. Je vis alors son regard s’éclairer. Il se tourna vers moi et dit, “celles-ci, mon ami, sont miennes.” Cette première censure eut pour effet bénéfique d’apaiser mes remords. Je crois qu’il était ravi de pouvoir partager son coin de paradis, mais chaque jour, quand nous franchissions la porte du lodge, arborant des sourires radieux, je pouvais sentir sa peine.

Au début, la météo était vraiment capricieuse et toujours changeante, me rappelant à ma jeunesse écossaise dans les montagnes de Cairngorm où éprouver quatre saisons en une journée n’est pas chose exceptionnelle. Puis, par chance, le manteau marin se stabilisa. On randonna dans le cirque de Nilsviktinden pour découvrir trois couloirs vierges d’environ 500 mètres. Les murs de pierres nous protégeaient du vent et la neige froide et fraîche était excellente à skier. Après la journée, on pouvait attraper un café et une gaufre avant d’aller se relaxer au sauna avec une bière et laisser la chaleur pénétrer nos muscles endoloris. Au bout de 20 minutes, il était temps de se rafraîchir et, sans se poser de question, plonger tel des Vikings dans le fjord glacé. Puis, passablement desséchés, nous allions dîner.

Nous commencions à sérieusement nous habituer aux délices de la cuisine du lodge et aux digestifs d’aurores boréales accompagnées de généreuses lampées pour repousser le froid. Nous avons eu la chance d’avoir quelques nuits claires d’affilée et, tandis que les vents solaires effleuraient l’atmosphère terrestre, l’aurore boréale nous éblouissait de sa beauté scintillante. Ce spectacle ayant une incidence directe sur le niveau du whiskey, les 8 h 30 du petit-déjeuner constituaient un vrai luxe – surtout si l’on pense aux réveils pour aller prendre la première benne de l’aiguille du Midi à 8 heures !

Finalement, le ciel vira au grand bleu et Seth nous mit sur la voie du Breitinden en nous mettant en garde contre l’approche marécageuse. Une fois bien négocié les marrais, on découvrit un magnifique cirque où se nichait une superbe ligne généreusement fournie en poudre blanche.

Plus tard dans la semaine, un ciel craquelé nous permit de profiter des célèbres changements de lumière du grand nord. Des rayons solaires traversaient les lourds nuages pour se refléter dans les fjords et c’est avec la classique du couloir sud du Geitgalien que nous avons tiré notre révérence à ce pays de cocagne.

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