Le roi Ortler

Le crow autrichien Leo Rauch, son frère Josef et  Julian Resch sont partis en goguette du côté du mont Ortles (Ortler en allemand) dans le Tyrol du sud. Ensemble ils ont répété l’un des itinéraire mythique du ski de pente, le couloir Minnigerode ouvert en 1971 par Heini Holzer.

Ortles (3905m): arête Hintergrat- couloir Minnigerode

C’était un mercredi, sans doute autour de 22 h 15, quand on est parti d’Innsbruck pour rejoindre Sulden. On était tous très enthousiastes. Mon ami Julian Resh habite dans le même immeuble que moi et il vient régulièrement sonné à la porte pour me proposer une nouvelle aventure. Cette fois, il s’agissait du couloir Minnigerode plongeant depuis l’Ortles jusqu’au glacier de Sulden. Un joli petit morceau de ski et d’alpinisme dans les Alpes du sud. Départ, mercredi après le boulot avec mon frère Josef qui s’était spontanément joint à l’aventure. On était donc trois compères désireux de se payer une belle tranche de ski de printemps.

Après trois heures de sommeil bien trop courtes sur le parking de Sulden (1 900 mètres), on est parti sur les coups de 4 h 20 au milieu d’une horde d’environ 50 skieurs. Heureusement, au bout d’un moment, ils ont tous bifurqué vers le Monte Cevedale.

On a traversé le glacier de Sulden aux premières lueurs de l’aube. Les puissants séracs du Grand Zebru brillaient de rose au-dessus de nous. Comme partout en Europe, la montagne manquait de neige et les ponts émettaient des bruits inquiétants à mesure que l’on traversait le glacier. Au moment de rejoindre la rimaye, des nuages ont enveloppé le sommet d’Ortles tandis que le couloir était plongé dans un épais brouillard.

 

On est remonté par le couloir Schück pour rejoindre rapidement l’arête d’Hintergrat, à environ 300 mètres du sommet. La dernière partie de l’arête fut une expérience inoubliable. Les nuages tournoyants accentuaient le côté épique de notre aventure, surtout quand ils se déchiraient soudainement pour nous laisser entrevoir les sommets environnants et l’immense face nord qui plongeait jusqu’au glacier, 2 000 mètres en aval. Certaines sections de l’escalade demandaient une bonne dose de concentration et de technique, d’autres étaient très aériennes. Comme par magie, les nuages se sont totalement dissipés au moment de franchir les deniers mètres vers le sommet, à environ 11 h 45.

Les nuages avaient en outre permis de préserver la neige de la chaleur du soleil et, bien que nous ayons pris du retard au cours de l’ascension, on pouvait pleinement profiter de la vue magnifique en attendant que le manteau réchauffe un peu.

L’un des grands avantages du couloir Minnigerode est qu’on peut le skier directement depuis le sommet jusqu’au glacier. Mais notre euphorie a vite été refroidie par le gel persistant sur la partie supérieure. Cette neige dure et les écueils qui parsemaient l’entrée en forme de cône n’étaient du goût d’aucun de nous trois pour tenter un virage sur les 50 premiers mètres. Mais une fois passé cette difficulté, un premier virage sauté, puis un second, nous ont permis de prendre confiance pour skier cette magnifique ligne qui flirte les 50 degrés. Après environ 400 mètres, on s’est retrouvé bloqué par une barre rocheuse qui nous a contraints de bifurquer vers le couloir Schück. Moins exposés, on a pu relâcher la pression et profiter d’une merveilleuse neige de printemps en grandes courbes.

Une fois sur le glacier, on était tous emplis de joie et de respect. On a ensuite zigzagué dans le labyrinthe des crevasses finement recouvertes de neige en cherchant les ponts les plus stables. Les abysses étaient scabreux et, à mesure que le soleil illuminait la scène, d’immenses tranchées apparaissaient, révélant les mouvements profonds du glacier. En regardant notre ligne, un mélange de satisfaction, de respect et surprise nous a envahi.

C’est ce sentiment qui nous motive à retourner au boulot et dans nos livres d’étude. C’est aussi lui qui nous permet de patienter jusqu’à la prochaine aventure.

 

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