Jochen Mesle, Balkan Express

Avec Balkan Express (qui vient de sortir sur Vimeo), c’est la deuxième fois que le Green Dreamer crow Jochen [yorrren] Mesle et son copain Max Kroneck enchaînent des centaines de kilomètres de vélo avec du ski de randonnée. Dans leur aventure de 2018, Ice and Palms, qu’ils ont filmée avec leur ami de 10 ans Philipp Becker de El Flamingo Films, ils s’étaient engagés dans une traversée alpine de 1800km en 6 semaines, de leur coin de Souabe bavaroise jusqu’à Nice et la Méditerranée. Les deux amis aiment le vélo, ils aiment le ski, ils aiment la montagne, et ils voulaient recommencer, avec une dose supplémentaire d’inconnu, de rencontres et d’aventure. Cette fois, ils partent en train à Thessalonique, avec leurs vélos, pour un voyage à rebours à travers les Balkans.

Blackcrows : Jochen peux-tu nous raconter comment cette aventure a commencé ? On pourrait penser que deux allemands partiraient plutôt avec un gros V6 que sur un vélo pour faire du tourisme dans les montagnes…

Jochen Mesle : J’ai commencé à filmer avec El Flamingo presque par coïncidence en 2010. Nous avons fait un film par an, eux et moi étions des rookies, et on a évolué ensemble, moi en améliorant mon ski, et eux leurs techniques de tournage. C’était cool de partir du même point et de grandir ensemble, surtout que nous sommes amis depuis le début.
En 2014 j’ai invité Max Kroneck à venir skier avec nous. Après 4 films ensemble, nous avons fait un voyage en Islande, et sur le chemin du retour, nous avons commencé à parler de ce que nous aimerions faire pour notre propre film. Sans nous être consultés avant, nous avions la même idée, celle de combiner nos principales passions : l’alpinisme, le ski, et la prise de vue. De plus, ce que nous aimons vraiment dans les expériences en montagne, c’est de partir de chez soi, à l’aventure, sans s’arrêter jusqu’à la fin.
Habituellement, pour un film de ski, on attend que les conditions soient bonnes, puis on prend sa voiture, on se précipite sur le spot, et on rentre à la maison avant de recommencer. Notre but c’était de changer tout ça. Nous avons réfléchi au moyen de transport que nous pourrions utiliser, qui nous permettrait de rester toujours en mode aventure. Nous avons opté pour le vélo parce que nous trouvons que c’est le rythme idéal. En vélo, on est assez rapides pour se déplacer, mais aussi assez lents pour profiter des changements d’environnement et vivre vraiment l’instant présent. C’était la raison principale de notre choix.
Nous avons regardé des cartes, des montagnes que nous voulions skier, et nous avons vu qu’elles étaient pratiquement alignées. Notre objectif était fixé, nous voulions commencer à la maison avec le vélo, et skier des montagnes jusqu’à la mer Méditerranée. Nous voulions aussi documenter une grande partie de ces journées par nos propres moyens. Philipp nous a rejoint pour 2 ou 3 semaines, et nous sommes partis pendant 6 semaines en tout. C’était une bonne combinaison. Lorsque nous filmons par nous-mêmes, les spectateurs sont très proches, et lorsque Philipp et les cameramen sont là, ils ont un regard extérieur.

Le bilan carbone de ce mode de déplacement a-t-il également été un élément important du processus ?

La conscience écologique n’a jamais été au premier plan, pour nous c’est une évidence, pas une cause. Nous avons été élevés par des parents qui ont toujours essayé d’être proches de la nature. Quand nous devions absolument utiliser une voiture, elle était forcément pleine, et tout était à l’avenant. C’est notre façon de penser, et c’était cool de combiner le ski et le vélo. Quand nous étions enfants, nous faisions beaucoup de voyages à vélo et nous avons toujours adoré ça. Le but n’était pas d’être aussi écolo que possible, mais comme nous avons grandi comme ça, ça nous semblait être la chose la plus naturelle et agréable à faire.

Donc en 2018 vous avez fait ce premier film de « biketouring », Ice and Palms, de chez vous à la Méditerranée, mais quand avez-vous pensé à vous lancer à nouveau dans un grand voyage  du même style?

Très vite. Quand nous sommes arrivés à Nice, nous avons immédiatement commencé à penser à faire le chemin du retour à vélo. Entre-temps, nous avons réalisé deux courts-métrages de ski, mais nous n’arrêtions pas de penser à une autre aventure à vélo. Nous voulions voir autre chose. Avec Max nous avons grandi dans les Alpes et on adore ces massifs, mais nous voulions voir d’autres montagnes et d’autres cultures. Nous avons regardé les cartes et avons d’abord pensé aux Pyrénées, à la Norvège, et même à la Corse. Puis je me suis souvenu que j’avais beaucoup aimé skier en Grèce, mais que ce qui se trouvait entre la Grèce et l’Allemagne m’était totalement inconnu. Nous savions qu’il y avait des montagnes sympas, mais nous n’avions aucune idée de leur aspect et surtout du type de personnes qu’on pourrait y croiser. C’est donc pour ces deux aspects, géographiques et culturels, que nous avons décidé d’aller dans les Balkans.

Vous êtes-vous beaucoup documentés ou avez-vous simplement regardé des cartes et décidé de voir comment cela se passerait en cours de route ?

C’était un peu une combinaison des deux. Une fois l’objectif de skier dans les Balkans fixé, nous avons parlé à des amis qui y étaient allés. Et puis nous avions des contacts sur certains spots. Nous avions cet artiste local au Monténégro, avec qui nous avons fait le dessin pour l’affiche du film. Nous avons demandé à notre sponsor de peindre nos vélos avec la même couleur bleue, et quand nous sommes allés le voir pendant le voyage il a recopié son dessin sur nos vélos. Il nous a aussi beaucoup parlé de l’infrastructure vélo au Monténégro, et de la façon dont la culture a lentement changé, passant de la toute puissance des voitures aux premières pistes cyclables qu’ils viennent de terminer.
Au total, nous étions en contact avec 4 personnes à rencontrer en cours de route. L’une était un artiste, une autre guide de montagne… Nous voulions avoir un échange avec la population locale, mais aussi être flexibles par nous-mêmes. Nous avons donc fait ces 4 étapes en 5 semaines, et pour le reste nous nous sommes débrouillés seuls.

Quels sont tes meilleurs souvenirs ? Philipp nous a raconté votre tout premier jour sur la neige qui était assez épique…

Nous sommes arrivés à Thessalonique après un long voyage en train, et il a commencé à neiger dès ce premier jour jusqu’au niveau de la mer. Il y avait des oliviers couverts de neige, c’était assez fou.
Le deuxième jour, nous avons grimpé en vélo vers le Mont Olympe et il y avait presque 50cm de neige sur la route. Nous avons échangé nos vélos pour les skis et avons fait une randonnée à travers une forêt magique, avec une neige de cinéma. Le sentiment d’être au bon endroit au bon moment était euphorisant. D’autant plus qu’à ce moment-là, toute l’Europe était sèche, il ne neigeait que précisément à l’endroit où nous étions. Il a fallu beaucoup de temps pour tout organiser, et j’ai eu l’impression que tout ce travail était en train de payer, c’était une excellente façon de commencer le voyage.
J’ai aussi 2 autres bons souvenirs marquants.
Le numéro 2 c’était aussi en ski, dans la vallée de Valbona en Albanie. Nous avons vu 2 italiens que nous avions aussi rencontrés au Kosovo, mais à part eux nous avions toutes les montagnes pour nous, avec un temps ensoleillé et des conditions de neige bien stables, vraiment parfaites. Les filmeurs nous avaient quittés, il ne restait donc que Max et moi, et nous avons également réussi à tout capturer en vidéo, ce qui rajoute encore à la satisfaction.
Mon souvenir numéro 3 concerne la dernière phase, faire du vélo en se rapprochant de la maison, on était de bonne humeur, dans des conditions météorologiques parfaites… Lors de notre dernier voyage, nous étions partis de chez nous pour aller vers l’inconnu, et cette fois-ci, nous sommes partis de Grèce pour rentre chez nous, ce qui était très agréable.

Est-ce le vélo ou le ski de randonnée qui est le plus gratifiant ?

Ce qui est amusant, c’est que lorsque vous voulez avoir de bonnes conditions sur la montagne, vous devez gérer les mauvaises conditions sur le vélo. Au début, il pleuvait et il neigeait, donc c’était vraiment dur pour les vélos, mais c’était aussi drôle et cool en même temps. Max et moi aimons vraiment les défis quand on reçoit une récompense après. Les deux premières semaines ont été très dures et difficiles sur les vélos et très bonnes en montagne, et puis les deux dernières semaines ont été complètement différentes, lorsque nous étions en Bosnie et en Slovénie, il faisait très beau et bon pour le vélo, mais les conditions étaient vraiment printanières en montagne et il ne restait plus beaucoup de neige.

Comment s’est passé le passage des frontières ? Il semble que vous ayez finalement passé un bon moment ?

Nous étions vraiment nerveux avant chaque frontière, aussi parce que chaque pays avait des règlements COVID différents, nous n’avions aucune idée de ce qui allait se passer.
La première frontière, entre la Grèce et la Macédoine, était vraiment cool. C’était au milieu de la nuit, dans une chute de neige, nous étions sur nos vélos, et après 10 secondes, la patrouille frontalière nous donnait déjà des conseils sur où aller skier, ce qu’il fallait faire, vraiment sympathique.
Une fois, nous avons dû emprunter une autoroute pour passer de l’Albanie au Kosovo. Nous étions vraiment nerveux, ne sachant pas s’ils allaient nous laisser passer, mais finalement ils ont été super sympas.

Des problèmes avec les routes ?

Philipp, qui conduisait la voiture lors du tournage, nous a dit que sur le chemin du Monténégro, il y avait des routes difficiles, mais nous avions nos vélos de gravier et tout allait bien. Parfois, le trafic était un peu effrayant. Nous avons surtout eu deux jours de vent fort, et comme nous commencions toujours nos journées assez tard, nous avons fini par pédaler 2 heures après le coucher du soleil, pendant la nuit. En Bosnie, il y avait une route où circulaient beaucoup de camions, donc le trafic était intense. Mais nous n’avons jamais été dans des situations vraiment effrayantes pendant tout le voyage.

Parlons des chiffres ? Combien de jours, la vitesse la plus élevée, la partie la plus longue, les kilogrammes ?

La vitesse la plus élevée sur nos vélos a été de 93km/h, en Autriche sur un col de montagne très raide, et comme nous pesions 40kg chacun, vélo compris, cela nous a permis d’aller vite. Les vélos eux-mêmes sont super légers, environ 9 kg. La partie la plus longue a été la dernière, environ 214km, il faisait un temps de merde et nous avons mis 2 jours en 1.
Nous avons fait 2500km au total, 7 jours de ski, 40000m de dénivelé, un maximum de 2000m en un jour à Valbona sur les skis, et aussi 2000m sur les vélos.

Qu’en est-il des pièces cassées et du voyage léger ? Le ski de randonnée est déjà assez délicat, mais combiné au vélo, il y a beaucoup de choses qui peuvent se casser…

Les vélos s’en sont très bien sortis. Nous avions des cadres en carbone, et sur les routes de gravier, avec toutes les vibrations et les forces, mon porte-bagages arrière s’est cassé et j’ai dû le réparer. Je suis allé dans un magasin au Kosovo, mais ils ne pouvaient pas comprendre ce dont j’avais besoin et c’était vraiment drôle. Finalement, c’était facile et nous avons pu le réparer. En Autriche, l’une des manettes électriques de Max a lâché et il ne pouvait choisir qu’entre la plus grande et la plus petite vitesse.
Nous avons essayé de tout minimiser pour prendre le moins possible, mais aussi tout ce dont nous avions besoin pour pouvoir passer 3 jours seuls dans les montagnes. Une grande partie était l’électricité, nous avions besoin de gérer nos drones et nos caméras. Nous avions une dynamo pour pouvoir charger nos batteries avec nos roues avant tout en pédalant. Avec autant de matériel, il fallait presque deux heures par jour pour refaire nos bagages, surtout quand on passe du ski au vélo, c’est assez délicat. Nous nous sommes habitués à faire nos bagages rapidement, mais cela prend toujours beaucoup de temps.

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