Cavalcade estivale à la péruvienne

Flute de pan, couleurs chatoyantes et gros couloirs incisifs, quand on a la chance de pouvoir repartir en voyage après des mois d’incertitudes, c’est le Pérou! Quatre grandes épopées pendant plus d’un mois dans la Cordillère blanche, avec des sommets à plus de 6000m, et des conditions pas vraiment débonnaires. Du ski de montagne, comme on l’aime, hostile et farouche!

Un trip, une idée, un rêve et une mission solidaire. C’est ce qui a porté notre bande de joyeux glisseur sur les pentes verticales et la neige carrelage du Pérou et de sa cordillère blanche. Nous avions plusieurs montagnes en tête, des rêves et des fantasmes, partagés entre 6 riders originaires de Chamonix : Damien Arnaud, Aurel Lardy, Mathieu Moullier, Jules Socié, Gaspard Buro et le snowboarder de l’équipe, Gaspard Ravanel.

Nous avons eu la chance de glisser sur quelque sommets majeurs, mais nous avons aussi dû faire marche arrière face à une météo capricieuse et parfois des corps complétement retournés par l’altitude et la digestion.

Arête sud du Tocllaraju

Nous sommes partis le 20 juin pour la vallée de l’Ishinca, une grande vallée à remonter sur quelques longs kilomètres, même très longs… En arrivant au refuge, nous sommes accueillis comme des rois. Le plan de base était de dormir dehors mais au vu de la beauté du feu et de la chaleur de la serveuse, à moins que ce ne soit l’inverse, nous décidons de dormir au refuge.

Le lendemain, nous partons tôt pour le camp 1, avec une longue marche dans un beau pierrier entre 4350 et 5100 mètres d’altitude. Plus nous approchons, plus nous voyons cette arrête sud, fluo, qui nous appelle.

“Le rêve semble de plus en plus réalisable.”

L’excitation se fait ressentir au camp après la sieste. Au moment du repas, tout le monde a le sourire, on fait beaucoup de blagues, on parle de la ligne, on profite du coucher de soleil et on décide que le lendemain, au sommet, nous skierons sur l’arrête sud, 23 ans après Marco Siffredi, quel rêve !

Le réveil sonne à 1 heure pour un départ prévu à 2 heures du matin.

Tout le monde est très motivé au réveil, un bon petit déjeuner et on est parti pour notre premier gros morceau. Mais peu après le départ, Aurel ne se sent pas bien et commence à vomir. Un peu plus loin, il décide de renoncer. Deux cordées se forment alors, Damien et Mathieu dans la première et Jules avec les deux Gaspard dans la deuxième.
Mathieu et Damien tracent à deux jusqu’à la dernière longueur, vers 6000 mètres d’altitude, après 10h d’une longue ascension et une dernière longueur qui donnera du fil à retordre, tout le monde arrive au sommet. Très vite, nous nous mettons d’accord : au vu de la trace pour la montée et ce que représente la face sud pour Damien, il droppe le premier.

“Les premiers virages à 6000m sont incroyables, on n’en revient pas : c’est de la neige de cinéma.”

Après un passage technique réussi sur le milieu, nous cheminons entre les séracs avant de plonger dans le dernier mur, une belle pente de 55° béton armé dans une ambiance incroyable, une pente qui demande encore beaucoup d’engagement et de concentration.

Une fois en bas le retour avec les caméramans, Aurel, et les porteurs est très festif. Nous savons que nous avons réalisé une descente de folie que nous avons beaucoup de chance sur les conditions de neige. L’arête sud du Tocclarju est un privilège, un rêve réalisé, une descente qui ne se skie quasiment jamais, à cause des conditions.

Ranrapalca

“Pendant la descente du camp de base du Tocclaraju en direction du refuge de l’Ishinca, la vue sur le prochain objectif est saisissante. Le Ranrapalca, haut de ces 6162 mètres, semble en conditions pour une descente à ski de sa face Nord Est !”

Nous nous accordons une journée de repos au refuge de l’Ishinca avant de repartir. Aurel, Jules, Gaspard Buraud et Mathieu seront de la partie pour une deuxième descente à plus de 6000 mètres la même semaine. Le 25 juin, l’équipe prend la direction du Ranrapalca, une journée de marche accompagnée de nos fidèles porteurs. Nous arrivons au camp de base situé sous la face que nous envisageons de skier le lendemain, suspendue au-dessus d’une incroyable muraille de granite orange, l’ambiance sera au rendez-vous c’est certain ! Nous mangeons notre habituel repas lyophilisé en profitant du coucher de soleil avant d’aller rejoindre une longue et froide nuit rythmée par l’appréhension et l’excitation.

“Le réveil qui sonne à 1 heure du matin est piquant, et la courte nuit en tente à encore fait des dégâts.”

Cette fois ci, c’est Gaspard Buraud qui en fait les frais : malade, il déclare forfait ! Nous serons donc 3 à nous jeter à l’assaut de la face Nord Est du Ranrapalca. Après 1h30 de montée, nous arrivons en pleine obscurité au point le plus délicat de cette ascension, un ressaut mixte d’une trentaine de mètres qui barre l’accès à la pente suspendue. Nous le passons étonnamment rapidement. L’ascension se poursuit sur une neige très dure qui nous permet de monter sans trop forcer, et peu à peu le jour se lève, rendant le vide derrière nous de plus en plus impressionnant.

Nous approchons du sommet de la pente et les effets de l’altitude commencent à se faire sentir. Aurel se plaint de maux de tête, il est amoindri après avoir été fortement malade au Tocllaraju, il prend la sage décision de chausser les skis 100 mètres sous le sommet pour redescendre au plus vite vers 5000m. Jules et Mathieu poursuivent leur effort pour s’arrêter aux alentours de 6000 mètres juste sous la crête sommitale, rayée d’une barre rocheuse. De là, on observe Aurel sur ses premiers appuis, sereins sur cette neige dure comme du marbre. Jules et Mathieu chaussent leurs skis et entament leur descente, les premiers virages demandent une concentration extrême. La pente est vertigineuse, une impression accentuée par la neige très dure. Chaque virage demande une telle énergie qu’il est difficile d’en enchaîner plus de 4 ou 5 sans s’arrêter. À bout de souffle, nous skions sur le fil d’un éperon qui se détache de la face nord.

“La pente ne décline pas mais le soleil commence à radoucir la neige qui devient plus facile à skier dans la partie basse. Nous slalomons entre les falaises de granit pour arriver au rappel final qui nous permet de nous échapper de cette incroyable pente suspendue. La pente s’adoucit enfin et nous profitons d’une neige parfaitement décaillée pour rentrer au camp de base.”

L’émotion est à son comble quand nous retrouvons Adrien, Max et Gaspard au camp, qui ont filmé et assisté en direct à notre descente !

Nous plions le camp, attendons les porteurs et nous voilà reparti pour 30 km de marche qui nous ramèneront à Huaraz.

Artesonraju

Cette montagne est comme un mythe.

De loin la plus connue du secteur, d’autant qu’on l’a tous déjà aperçue : c’est le logo de la production hollywoodienne « Paramount Pictures ». Mais l’Artesonraju est d’abord une pure et magnifique montagne d’un peu plus de 6000m, à cocher absolument dans une vie de skieur de pentes raides. Sauf que depuis notre canapé bien tranquille dans la vallée de Cham, on ne se rendait pas compte des heures d’approche le cul cloué dans un taxi et de la rando interminable qui suivrait.

Mais après tout, nous sommes venus pour ça, les grandes bambées sauvages au milieu de la cordillère blanche. Après près de 5h de taxis à rouler sur les routes les plus reculées de la région, c’est le moment de chausser nos plus belles chaussures de rando et de se mettre en marche pour le camp 1.
Depuis le parking où les taxis nous ont posé, il faut traverser un lac. Ici, des barques touristiques flottent sur l’eau turquoise. Certains prendront la décision d’embarquer, quitte à perdre 2h, et d’autres décident de marcher, les skis bien accrochés sur le dos. Deux heures et demie plus tard, les marcheurs sont arrivés, mais les rameurs arriveront près de 3h plus tard, ayant subi le vent qui descendait la vallée et était donc face aux barques.

Le lendemain, il est temps de rejoindre le camp 2. Ce n’est pas une longue journée, mais on est déjà fatigués des aventures précédentes. De là haut, la vue sur l’Artesonraju est superbe : c’est fat et terriblement beau. On réfléchit assez rapidement à l’option de monter jusqu’au camp avancé qui se situe sur le glacier en contrebas de la face de l’Artesonraju que l’on veut skier. Finalement on reste au camp 2, on se repose à fond, on partira demain, à minuit et demie.

Jour J de l’Artesonraju, le réveil sonne, il n’est pas plus de minuit. La journée la plus difficile de nos vies nous attend, il fait nuit noire et le froid est cinglant. On s’enfonce pendant des heures dans l’obscurité au travers d’énormes crevasses et de séracs de plus en plus vilains. Il nous faut 5 heures pour rejoindre la rimaye, le vent nous a fouetté toute la nuit, Damien et Thomas sont au bout du rouleau et souffrent du froid. Demi-tour, retour vers le camp.

Pour nous autres c’est le moment de bastonner. On remonte la face, 200 puis 300m au-dessus de la rimaye, mais le vent nous arrache à la montagne et la neige skiable s’en est allée. On prend la décision vers 6h du matin de renoncer au sommet de l’Artesonraju, accompagnés dans notre tristesse par le plus pur des levers de soleil.

Huascaran

Dernier sommet de notre voyage et pas des moindres puisque nous visons le plus haut du pays, le Huascaran Sud, 6768m par son “escudo“. Escudo veux dire bouclier, un triangle de 700m incliné à 50° et tout cela au-dessus de 6000m d’altitude…
Mais le temps et la fatigue générale après un mois de montagne intensive à des altitudes que nous ne connaissions pas commence à peser sur nos épaules.

“Encore une approche interminable par des routes abominable assis au fond de ces vieilles Toyota Corolla break qu’on ne peut plus voir en peinture. Au Pérou, il faut être prêt à passer plus de temps dans les taxis et dans les marches d’approche qu’en montagne.”

Le jour 1 pour rejoindre le refuge du Huascaran sera terrible pour Aurel, qui aura été malade quasiment à chaque fois sur ce voyage. Son transit ne voulait pas lui rendre la tache facile pour glisser sur les belles pentes péruviennes. Alors pendant près de 5h, il se bat contre la pire diarrhée de l’histoire de ce chemin et pose une balise toutes les 10min. Abominable.
Il arrive au refuge partiellement vivant. Un énorme bol de riz, des médocs et ça repart !

Les deux prochains jours seront rythmés par de la marche et de la rando sur le glacier du Huascaran. On avance, on dort et on recommence. La veille de l’assaut final, nous avançons avec les porteurs dans la « candeletta », un tas de séracs accompagnés de crevasses plus profondes encore que ce que nous pouvions imaginer. Les porteurs nous laissent tomber une centaine de mètres sous le camp 2, vers 5900m, effrayés par une longueur verticale en cascade. On fera donc les 100 derniers mètres de dénivelé jusqu’au camp 2 en deux fois, portant nos sacs puis les sacs de 35kg qui étaient leur charge.

On est éclatés. Poser le camp à cette altitude par un vent fort est une vraie corvée. Il nous faudra près d’une heure pour monter les tentes. Le temps de se reposer et le mauvais temps commence déjà à arriver. La nuit évoluant et les tentes bougeant de droite à gauche de plus en plus fort, nous commencerons à douter de la faisabilité de la descente par l’escudo.
La météo aura une fois de plus raison de nous, nos corps sont fatigués.

“Nous finirons le voyage sur une mauvaise note mais après tout c’est la montagne et on l’aime comme ça, hostile et farouche !”

Par Aurel Lardy, Mathieu Moullier, and Damien Arnaud.

Articles associés


À la pêche en Alaska



Mosetti – La face sombre du ski