Droit devant. La fréquence cardiaque s’accélère. Le terrain défile à vitesse exponentielle. Tout va bien. Et pourquoi ne pas libérer ses mains pour attraper cette bienveillante boucle de l’extracteur. Faites chauffer le palpitant. Matthias Giraud alias Super Frenchie s’amuse à se jeter à ski de falaises abominables avec un parachute.
Skieur
Tout a commencé par un chalet de famille au Bettex, près de Saint-Gervais les Bains, aux abords du massif du Mont-Blanc. Il y passe les vacances scolaires, commence le ski très jeune, passe par l’ESF et attrape, comme il dit, le “virus” de la montagne. D’un naturel fonceur, il progresse et tente de maintenir le niveau face aux gamins de la vallée. Il débute la compétition et réussit quelques petites performances. Dès 11 ans, il veut s’inscrire en sport études à Chamonix, mais la perspective de l’internat si jeune rebute ses parents.
C’est finalement à 13 ans qu’il réalise son souhait en intégrant le sport étude de Saint Nicolas-de-Véroce au pied du massif du mont-Blanc. Matthias plonge dans la vie en montagne. “Je me rappelle, je suis arrivé le premier jour et mon entraîneur a dit qu’il n’avait jamais vu quelqu’un skier avec deux pieds gauches. Mais j’avais tellement la hargne. Je voulais tellement skier et faire quelque chose avec le ski que je m’entraînais tout le temps. Je faisais du piquet, je ne lâchais rien et je me suis accroché comme je pouvais.”
Sa ténacité va le mener à quelques podiums, pas le top niveau, mais suffisant pour que l’ado s’accroche. Il s’achète une paire de X-Scream de Salomon et ski tous azimuts, s’essayant à toutes les disciplines émergentes du ski libre. “J’ai commencé à faire des sauts de barre, à faire des saltos, des trucs comme ça. J’ai toujours été très agile, ça m’a aidé dans le ski. Bon, je me suis pété le sternum quatre fois les deux premières années, parce que je ne savais pas trop ce que je faisais. Vers l’âge de 15 ans, mon but c’était de m’envoyer un back flip tous les jours. En gros entre 15 ans et 21 ans, quelles que soient les conditions, je faisais un back flip tous les jours. Ça m’a permis de rider un peu tout. J’ai fait des derbys, du park, mais sans être vraiment bon dans une discipline. J’avais l’impression d’avoir un bon feeling, mais je n’explosais dans rien.”
Convaincu de vouloir travailler dans le ski, il s’inscrit en école de commerce à Lyon, à deux heures de route de plusieurs grandes stations des Alpes. Rapidement, une nouvelle opportunité surgit sur sa route. Un ami de la famille lui propose de venir bosser sur le domaine de Purgatory dans le sud-ouest du Colorado. Il pourrait alors poursuivre ses études de commerce à Fort Lewis College dans la ville de Durango. “Je n’ai pas réfléchi. La perspective d’aller dans le Colorado et de pouvoir skier tout en passant un diplôme de commerce… Il fallait que je parte. Une fois là-bas, comme je bossais pour le département marketing et que je savais skier, on m’a demandé de faire petite séance photo pour la station de ski. Je me suis bien envoyé et ils ont décidé de me sponsoriser pour faire des étapes du championnat de freeride aux US. C’est comme ça que je suis rentré dans le circuit du big mountain.”
Base jumper
Si l’on ne trouve trace de skieur base jumper dans la généalogie de Matthias, il faut néanmoins prendre en considération le service militaire effectué par son père dans le 9e régiment de chasseurs parachutistes. Les soirées de son enfance résonnent de ces histoires de parachutisme et d’aventures. Elles nourrissent puis submergent son imaginaire. “Depuis ma prime jeunesse, j’étais obsédé par le parachute. Mon père m’a raconté qu’un soir, quand j’avais environ 4 ans, il entend du bruit dans le salon. On habitait au premier étage et il y avait une table devant la fenêtre. Et il me retrouve debout sur la table, un sac à dos sur le dos, la fenêtre grande ouverte et répétant à voix haute : tu peux le faire, tu peux le faire… (Rire). Donc j’avais déjà un monstre dans mon subconscient.”
Quelque temps après son arrivée aux États-Unis, il se rend sur le salon SIA de Denver, le grand salon des exposants du ski et de la montagne. Là-bas, il croise Shane McConkey, l’un des précurseurs du ski base. “Je venais juste de voir mes premières images de ski base et je songeais à en faire, mais je ne savais pas comment m’y prendre. J’y pensais, mais je n’avais encore rien fait pour, même pas de chute libre. Et puis là je rencontre Shane et il me dit : mets-toi à la chute libre, fais une centaine de sauts et après tu peux commencer. À partir de là, c’était parti.”
Il se met dès lors en “mission” pour faire de la chute libre, mais il se blesse à nouveau aux croisés et rentre en France afin de se constituer un petit pécule pour payer sa formation. “J’ai accumulé trois boulots pour économiser assez d’argent pour passer ma licence. J’ai commencé la chute libre à la fin de la saison 2006. J’ai passé ma licence et, après une trentaine de sauts, je me suis dit, bon ce n’est pas compliqué, je peux me mettre au base jump. J’avais un pote qui totalisait 600 sauts et qui voulait bien me former. Il a parlé à un fabriquant de matériel de base en lui disant qu’il s’occuperait de moi et il m’a fait un “piège”, c’est-à-dire un parachute.”
Matthias totalise environ 45 sauts quand, harnaché dans son tout nouveau système de base, il prend pied sur le garde-fou d’un pont dans l’Idaho. “Là, on s’est fait neuf sauts en une journée. À la fin de la journée, on faisait des gros saltos arrière de soixante mètres. C’était génial. Mais déjà en venant du ski, je pouvais me taper des gros back flip ou un gros double back, donc je pense que ça m’a donné le bon timing.” Après un dernier saut depuis une falaise, son ami le dépose à l’aéroport en lui souhaitant de bien s’éclater. Il enchaîne alors les sauts depuis des supports multiples et pense déjà à mettre son projet de ski base à exécution.
Skieur base jumper
“Quelques mois après, j’ai décidé de tenter sur une falaise que j’avais repéré sur le Mont Hood. Ce n’était pas grand, ça faisait environ 70 mètres, mais c’était assez pour faire un saut en ski base. C’était mon vingtième saut en base et, quatre mois après avoir commencé, je me suis lancé. Et c’est passé quoi !” Déjà habitué à travailler avec des cameramans ou photographes dans le ski, Matthias contacte une connaissance pour le filmer. De fil en aiguille, l’un des gars connaît quelqu’un à la télé locale et le sujet est retransmis aux informations. “Le lendemain, je me réveille à neuf heures et mon téléphone sonne non-stop. C’était Good Morning America, l’émission d’ABC news ! Je ne m’étais pas rendu compte à quel point le mont Hood était célèbre aux US. Et là, ça a fait le buzz dans les médias, même CNN en a parlé, et ma carrière a démarré. Mais surtout, j’ai réalisé ce jour-là ce que je percevais depuis quatre ans, depuis mes premiers sauts en chute libre : avec le base jump, j’avais trouvé l’outil pour aller skier des trucs qu’on ne pourrait pas skier normalement.”
Cette intuition qu’avait eu Matthias et auxquels ses choix et les enchaînements de la vie ont participé est devenu son quotidien. Skieur cascadeur au pays des self-made-men et de la démesure, la scène est idéale. Le public a toujours soif d’exploits insensés et, avec son accent français et son enthousiasme chargé de Kryptonite, il tombait forcément à pic. Mais après la mise à feu de départ, encore faut-il maintenir l’orbite de la popularité. Pour cela, grâce à différentes aventures comme le premier saut en ski base du Cervin ou le très bel enchaînement aux aiguilles Croches, il va faire tilter le nombre de vues sur internet. Progressivement, il développe son propre show en cherchant de nouveaux défis et en élaborant son propre style. “Je me laisse vraiment inspirer par ce que je vois en montagne. Je skie et, d’un coup, je vois une face magnifique avec une grosse barre. Après je ne peux pas penser à autre chose que de la skier à fond et de me balancer. J’ai toujours eu de la chance parce que j’ai toujours rencontré des gens motivés pour venir filmer ces conneries avec moi. Et même si je les rencontrais pour la première fois, je savais que je pouvais leur faire confiance. C’est aussi grâce à la communauté de la montagne que j’ai pu faire tout ça.”
Essayer de se mettre dans les chaussures d’un mec qui skie vers le vide n’est pas facile. Lui décrit ça comme l’association de deux types de concentrations, celle du ski, tout en trajectoire, et celle du base, explosive. “Au niveau de l’approche, il faut se mettre en en immersion et se dire : une autre journée en ski, c’est cool. J’essaye d’être détendu, de vivre chaque virage, d’être calme tout en étant engagé. Et quand arrive la fin du run. Quand je vois la barre à trente mètres de distance. C’est le moment du déclic. Tu as ton instinct de survie qui te dit arrête tout et, au contraire, il faut accélérer et y aller à fond. C’est le point de non retour.” Ensuite, le tout est d’essayer de ne pas partir en rotation au risque de s’emmêler les skis. “Au moment où tu sautes la falaise, cela dépend de ton angle. Si tu as un angle assez plat qui te donne une trajectoire un peu courbe, ça t’aide à te stabiliser. Mais si c’est un saut plongeant qui t’envoie droit au sol, c’est beaucoup moins stable. Pour les skis, je ne vais pas au-dessus de 108 sous le pied, car après ça t’attrape les skis et ça peut te retourner tête en bas. Si tu déclenches comme ça, tu risques fortement de tout emmêler et de ne pas survivre. Donc la sortie est cruciale parce qu’il faut être stable. Avant d’avoir déclenché ta voile, tu tombes facilement de 50 mètres. Il faut maintenir ton équilibre tout ce temps.”
Aujourd’hui établit dans l’Oregon avec son fils et sa compagne, Matthias est l’un des rares skieurs base jumper en activité. Nombre de ses acolytes de grands frissons ont arrêté ou sont morts, la plupart en pratiquant d’autres disciplines. Ainsi Shane McConkey, celui qui fut son modèle à ses débuts, se tua lors d’une tentative de saut ski base suivi d’un vol en wingsuit. Mais contrairement à ce qu’on pourrait penser, peu d’accidents sont à déplorer. Matthias continue donc sa route, sans égard pour les que dira-t-on. “Les râleurs vont toujours râler. Donc après il faut faire son truc sans mettre en danger d’autres personnes. Si tu fais ton truc et que tu te plantes, c’est ton problème. Cet aspect négatif tue l’esprit d’aventure et l’esprit créatif en montagne. Dès qu’on se bloque dans la norme, c’est le début de la fin du voyage intellectuel et émotionnel. Le seul truc qui me fasse peur, c’est qu’un couillon suive mes traces en hors-piste. (Rires) Heureusement, la plupart des spots ne sont pas faciles d’accès.”