Paris ski blues

Souvent, je m’accoude au balcon pour regarder la ville s’étendre à mes pieds.
À mes pieds, je préférerais avoir des skis mais je le dis pas, pas trop fort en tout cas.
J’évolue dans le beau monde de la mesure, du compromis : c’est déjà une chance de pouvoir voir le ciel et dominer le béton.

Faut dire que la Tour Eiffel et Montmartre sont mon horizon. J’aimerais y voir des chefs d’œuvre de l’aventure humaine et toutes ces conneries, mais je ne m’y figure que des montagnes en moins bien.
Voilà : en fait, je vis dans un cercle concentrique de 105,4 km2 dont il est difficile de s’échapper et où tout est à décrypter : les monuments c’est une chose, mais y’a les humeurs des gens, les enseignes et les gaz d’échappement.
Parfois, je vois des oiseaux voler. Je ne sais pas si c’est moi, mais j’ai l’impression que les oiseaux vont plus vite ici qu’ailleurs, comme les humains d’ailleurs.

Même par temps dégagé, je n’arrive pas à les distinguer.
Il parait que dans le ciel de Paris, on peut apercevoir des hérons cendrés, des aigrettes garzettes et même des accenteurs mouchets.
Ouais ouais, ben moi, je ne vois que des chevrons noirs peints à gros traits, ce seraient des corbeaux que je m’en foutrais.
Ça c’est sûr : ici, mieux vaut être amateur d’art que de grands espaces.
Je ne me plains pas, un chevron peint à gros trait dans le ciel de Paris c’est parfois beau comme un tableau : quand le ciel devient orange, on dirait des estampes japonaises, et quand il vire à la pluie, ça me fait penser à une lithographie de Soulages.

Souvent, je m’accoude au balcon pour regarder la ville s’étendre à mes pieds.
A mes pieds, je préférerais avoir des skis mais je ne le dis pas, pas trop fort en tout cas.
De quoi je me plains ?

Si on y réfléchit bien, être parisien n’est pas si éloigné que d’habiter au pied d’une montagne.
À Paris plus qu’ailleurs, tu peux monter très haut, descendre très bas, le tout à une vitesse vertigineuse. Et, finalement, les itinéraires à emprunter y sont aussi variés que sur une face enneigée.
T’as beau être à 500 bornes de la première station, ton quotidien est une succession de putain de V inversés.
Tout comme dans le paradis blanc, ceux qui réussissent en ville sont rarement les mêmes que ceux qui restent dans les mémoires ; les légendes, traçant pour eux même leur propre ligne, usant d’une certaine forme de radicalité.

Je ne fais partie ni de ceux qui réussissent, ni de ceux qui entrent dans la légende, je suis juste un mec accoudé à son balcon.
À mes pieds, je vois le gris alors que j’aimerais voir le blanc. Pourtant, je n’arrive pas à opposer ces deux couleurs, pire, elle se confondent dans mon esprit.
Suis-je seul à voir les choses ainsi ?
J’aimerais tant intégrer une communauté, un collectif dont les membres seraient habités par une vision du ski fusionné avec la beauté. Ensemble, on descendrait de nos immeubles, de nos chalets pour rehausser nos murs de couleurs vives, jusqu’à l’obsession ; indifférents au fait qu’ils soient de neige ou de ciment.

texte par Johann Pellicot

visuels par Noki Powlonski

Articles associés


True love


WOLF, un hiver avec Sam Favret