Lofoten : terre de lumière

Le photographe Raphaël Fourau nous convie en texte et images à partager sa découverte des Lofoten. Un voyage initiatique dans cet archipel norvégien situé au-delà du cercle polaire, entre la mer de Norvège et le Vestfjord, là où les Alpes plongent dans la mer.

J’aime voyager seul, prendre le temps d’observer, voir les visages changer au fur et à mesure que l’on franchit les frontières. Appréhender l’environnement dans lequel je m’apprête à entrer, c’est mon sas de décompression.

Raphaël Fourau

L’avion redescend à travers les nuages, le sas de décompression s’ouvre sur cette lumière, surréaliste. Cette même lumière que j’avais découvert quelques années auparavant en survolant pour la première fois les côtes islandaises. Cette fois-ci, je m’apprête à atterrir à Harstad-Narvik, porte d’entrée des îles Lofoten.

Raphaël Fourau
Alfie nous accueille timidement dans sa garçonnière. C’est ici qu’il passe de longues heures à pêcher la morue, seul au large des eaux glaciales des Lofoten.

Le Nord m’attire depuis plusieurs années, j’ai du mal à en détourner mon regard. À nouveau, je plonge dans l’inconnu, je me laisse porter par Lionel qui me récupère à l’aéroport. Je suis venu passer une semaine pour skier avec lui et Kari. C’est ici qu’ils passent une partie de leur hiver, dans une vieille maison de pêcheur qu’ils ont transformé en lodge. Ils y accueillent des skieurs et les guident dans les spots alentours.

Raphaël Fourau

Je découvre les Lofoten dans la nuit à peine tombée. Le long de la route sinueuse longeant les fjords, de larges silhouettes austères se dressent dans la pénombre. Puis la douceur du lodge. Havre de paix au milieu des fjords. Les Lofoten perturbent l’imaginaire, déstabilisent ce que vous teniez pour acquis. Ici les montagnes plongent dans l’eau salée et le soleil rebondit à l’horizon. La douceur de l’air vous fait oublier que vous êtes aux portes du pôle Nord.

J’ai pourtant essayé de m’imaginer mille fois ce qui m’attendait aux Lofoten. En bon photographe, j’ai fouillé, préparer, visualiser… Pour tenter d’anticiper les cadrages, les situations, les ambiances que j’allais pouvoir ramener. Mais rien ne pouvait me préparer à ce que l’on découvre ici. Aucun autre lieu ne laisse cohabiter les pécheurs et les skieurs. Pourtant ici les peaux de phoques sèchent aux côtés des milliers de morues fraîchement pêchées. Ce voyage m’enfonce encore un peu plus loin dans mon addiction aux contrées nordiques.

Raphaël Fourau
Premier jour, premier virage derrière la maison. Voilà 5 ans que Lionel et Kari sont arrivés ici pour la première fois. Depuis, il est revenu chaque année et a choisi de s’y installer une partie de l’année pour y accueillir ses amis et ses clients.

C’est notre troisième jour de ski sur ces îles flottantes. Lionel me parle de Eivind, un skieur local illuminé. Un Norvégien tombé amoureux des Lofoten qui vit désormais sur son bateau au milieu des fjords. Dernier run de la journée dans une combe nord, puis, comme à son habitude, la neige se transforme en eau sans préavis. Eivind se tient devant nous, debout sur le pont de son vieux rafiot, flottant au milieu de Trollfjord. Il est 17 heures, il fait un froid glacial, Eivind ne porte pourtant qu’un mauvais pull aux mailles trop larges. Il nous tend la main pour monter à bord, il nous a préparé une soupe de poisson. Enivré par le froid et la fatigue, la soupe réconfortante et une bière norvégienne me plongent dans un état second. Les autres s’engouffrent à l’intérieur pour fuir le froid. Le bateau avance entre les montagnes, manœuvrées par son capitaine hirsute qui nous conduit vers son village. Eivind est un colosse barbu. Un digne descendant des Vikings, façonné par le froid, prêt à affronter les montagnes. Un skieur fanatique qui choisit de fuir la ville pour venir installer ici avec sa famille. Nous passons la nuit chez lui.

Le lendemain matin, nous sommes réveillés par les rires de Nuur, la petite fille de Eivind. Elle fête ses deux ans aujourd’hui. À travers les rideaux en dentelles j’aperçois les montagnes de l’autre côté de la fenêtre. Quelques heures plus tard, nous serons au sommet, battus par les vents et plongés dans le brouillard après la longue et douloureuse ascension du dernier raidillon. Nous serons surpris par une avalanche, puis nous fuirons vers le fjord et la forêt au milieu de la tempête. Mais pour l’instant, je termine ma tartine. Le vieux poêle à bois crépite et je tente d’expliquer à Nuur que ma petite fille m’attend à la maison. Elle s’appelle Jeanne et elle aussi vient de fêter ses deux ans. Le capitaine lève l’ancre, l’aventure continue.

Raphaël Fourau
À la fin de la saison de pêche, les morues envahissent les îles, avant de laisser la place aux touristes.

Les jours filent. Sans jamais vraiment savoir où j’ai atterri, je commence à prendre mes repères. La faible altitude laissant plus de répit à l’organisme, les journées de ski s’enchaînent. Chaque matin Kari descend acheter le poisson à Alfie, le pécheur qui séjourne au pied du lodge. Au sous-sol les skis côtoient les filets de pêche. Un matin, Alfie nous propose de monter à bord de son chalut pour l’accompagner en mer. Une mauvaise odeur de poisson pourri embrume le poste de pilotage, Alfie tient la barre avec ses gants en plastiques tachés. Les cotes s’éloignent du radar. On s’agglutine à l’arrière du bateau, sidérés par le spectacle qui s’offre à nous, irréel. Le petit port de Henningsvaer n’est plus qu’un petit point encerclé par de larges montagnes, baignant à milieu de l’océan.
Derrière sa moustache malmenée par son sourire en coin, Alfie tente de nous expliquer les rudiments de la pêche à la morue dans un Norvégien incompréhensible. J’observe ses traits creusés par le sel et tente de m’imaginer la vie de ces hommes que je vois revenir tous les matins depuis la fenêtre du lodge. Ils pêchent seuls au milieu des montagnes, malmenés par le froid et la rudesse du métier. Leur gentillesse me touche et me fascine.

Un dernier couloir incroyable derrière la maison avec les copains, la neige se transforme une dernière fois en eau, puis c’est l’heure de partir. Le hasard veut que je reprenne la route seul. Le processus se répète, le sas de décompression. À nouveau, cette lumière qui berce mon retour vers l’aéroport. Dans le hall d’embarquement, j’observe les personnes qui m’entourent et je me dis que j’aime profondément ces lieux. J’aime profondément la gentillesse de ces gens, leur simplicité. J’aime ces paysages, cette nature austère et douce à la fois… J’aime cette lumière du nord.

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