Nouveau rookie sur le championnat du monde de freeride, Virgile Didier s’y rendra accompagné de ses grands skis roses et d’une fine moustache.
Nouveau statut de rookie sur le championnat du monde de freeride, nouveau corvus sous chaque pied, premier voyage aérien avec des skis en soute, le puissant skieur de Chamonix entame une saison merveilleusement inédite. Enfant de la vallée, passé par la case alpin jusqu’à ses 17 ans et totalisant 3 annees sur le circuit fis, éduqué à l’utile labeur par une lignée de gardien (ne) de refuge et à la précieuse déconnade avec toute une bande de chamoniards excités, menuisier charpentier pour donner forme aux choses et gagner son indépendance, Virgile est un homme skieur qui trouve dans la compétition de freeride, le champ d’expression de son idéal de ski, la complétude. Membre de l’escadrille Black Crows depuis 2020, son attachement au corvus l’a désigné comme le lien entre la neige et le bureau d’étude mental de Julien Regnier. À ce titre, il y a insufflé son désir, celui d’un ski taillé pour cette quête inlassable du skieur complet.
Black Crows : Comment s’est passée cette transition entre le ski alpin et les compétitions de freeride ?
Virgile : L’été qui a précédé mon arrêt du ski alpin, j’étais perdu. Je ne savais plus s’il fallait avancer ou reculer. J’ai donc décidé de revenir faire des compétitions, parce qu’il me fallait une carotte. Je ne pouvais me contenter du monitorat. Ma première compétition, c’était en 2019 à la Rosière. On était sur une grosse face qui était encore classée deux étoiles mais qui est ensuite passée quatre étoiles. J’étais avec Rudy et Aurel (Collet, fratrie composée, d’Aurélien, Rudy et Robin, NDLR). Je débarquais là en touriste. Je ne savais pas repérer une ligne. Alors Rudy fait une ligne avec un gros back en bas. Alors je me dis, je fais pareil. Et je fais exactement la même ligne mais avec deux fois plus de vitesse et je me mets le plus gros backflip de ma vie et j’explose. Mais, je me suis dit, j’y retourne. Et c’est lors de la compétition suivante à Chamonix, dans les pentes de l’hôtel, au Brévent, un Qualifier 2 étoiles que je fais mon premier podium. Et puis deux autres compétitions aux Arcs dans la même face avec un jour d’intervalle entre les deux. Et à chaque fois j’essaye de faire un double back sur le même caillou et deux fois je me mets les mêmes tatamis. Voilà pour l’apprentissage.
Black Crows : Et tu as continué…
Virgile : Oui, sur les Qualifiers, mais sans vraiment pousser le vice des compétitions, en essayant de garder cette marge de plaisir que je n’avais pas forcément en ski alpin. Donc à faire deux ou trois compétitions par hiver grand maximum. L’élément déclencheur, ça a été l’hiver Covid où on fait je ne sais combien de milliers de dénivelés avec Rudy. C’est l’année de mes plus beaux souvenirs en montagne. Au sortir de l’hiver, on a décidé d’aller faire une compétition 3 étoiles à Nendaz avec Aurélien. J’ai fait huitième et Aurélien s’est mis un énorme tatami et s’est défoncé le genou. Le truc, c’est qu’il était qualifié pour le quatre étoiles qui se déroulait quelques jours plus tard à Nendaz. Et comme j’étais premier au classement derrière lui, j’ai eu une wildcard. Et là tu te rends compte, qu’il y a déjà un fossé entre un 2 étoiles et un 4, que ce soit en termes d’organisation et même de challenge car c’est la porte d’accès au World Tour. À cause du Covid, les compétitions de début d’hiver avaient été annulées et elles n’ont repris que mi-mars. Il fallait donc être efficace tout de suite. Je fais un très bon run avec du ski comme j’ai envie de produire et je finis quatrième. Je me retrouve alors quatrième au classement général, sachant que les 4 premiers montent sur le World Tour. Il restait deux compétitions, et moi qui plane à 4000, je ne me suis pas inscrit à temps. Heureusement, parce que je n’avais pas la maturité. Mais ça m’a aussi motivé car j’ai vu que je pouvais avoir le niveau. Et à partir de là, je me suis mis à 2000 % sur les Qualifiers. Mais en gardant toujours à l’esprit de garder une marge de plaisir.
Black Crows : C’est ce qui t’a entraîné vers la Freeski Belleville ?
Virgile : Oui, ça fait deux ans que je me fais coacher par eux. Ça me permet aussi d’être pris en charge sur trois compétitions dans l’hiver. Déplacements, nuits d’hôtel, on n’a que la bouffe à notre charge. Et encore, ils trouvent le resto et on mange ensemble. Et mine de rien, cette prise en charge, ça compte. Au début, je ne faisais les compétitions qu’avec Aurel et Rudy et on était un peu paumé. D’autant plus qu’on n’était pas les rois de l’organisation. On partait le matin même ou la veille au soir , à 5-6 heures pour aller faire un run de compétition et revenir. Là, tu es avec une équipe, des gars qui font aussi la compétition. C’est chouette.
Black Crows : Qui sont tes coachs ?
Virgile : Kevin Guri et Victor Galuchot. Il y a aussi Pierre Guyot qui les a rejoints cette année, mais je pense qu’il sera plutôt impliqué sur le freestyle. Kevin, c’est une belle rencontre en ski. On s’entend super bien. Il skie super fort et il n’est jamais le dernier pour déconner. Victor, c’est un gars que j’admire depuis longtemps. Je regardai ses mini-séries sur Zapik quand j’étais supposé travailler à la bibliothèque. Et puis là-bas, dans les 3 Vallées, le terrain de jeu est vraiment chouette. Il y a toujours un spot qui marche quelque part. C’est tellement grand. Il y a aussi cette facilité d’accès aux lignes et puis il n’y a pas grand monde qui va en dehors des pistes par rapport à chez nous. À Chamonix, s’il y a 40 cm, c’est tracé en 5 minutes. Tu fais deux runs dans de la bonne neige et, après, tu n’as plus qu’à shaper des kicks. Là-bas, tu peux faire des traces à la journée.
Black Crows : C’est une approche très différente de l’alpin ?
Virgile: C’est assez différent. Je dirais que c’est plus dur en freeride déjà parce qu’on est vachement moins encadrés. Mais on s’éloigne de ce qu’était encore le freeride, il y a quelques années avec la préparation au bar. Il existe de plus en plus de structures qui permettent aux jeunes d’être un peu plus cadrés et professionnalisés. Maintenant, il y a beaucoup de préparation physique et aussi mentale. Donc ça se rapproche du ski alpin car c’est plus cadré. Moi j’ai toujours aimé le sport donc j’ai toujours fait de la prépa que ce soit en alpin ou en freeride. J’ai toujours gardé plus ou moins les mêmes objectifs de préparation. Donc, je n’ai pas ressenti un énorme changement sauf peut-être les premières années où je devais me débrouiller un peu tout seul. Maintenant, je me fais accompagner par un coach physique. Il y a une énorme partie du boulot qui se fait en dehors du ski. Le ski, on l’a, on ne va pas le réinventer. Mais il faut continuer à gagner en physique et en gainage, en maîtrise de soit et connaissance de soit.
Black Crows : Comment pourrais-tu améliorer ton ski ?
Virgile : Je me suis toujours dit qu’un bon skieur est quelqu’un qui savait tout faire. Quelqu’un qui puisse passer d’une neige glacée à de la peuf en ayant cette sobriété naturelle que représente un skieur complet. Et aujourd’hui, cela passe aussi par le freestyle. C’est vraiment le truc que j’ai envie de réaliser, à l’image et en ski. Le freestyle me passionne autant que le ski alpin, le freeride et le ski de haute montagne. Il y a plein de pratiques différentes et c’est cool de pouvoir s’inspirer du snowboard, du monoski, du freestyle ou du freeride. Et c’est comme ça que l’on devient plus complet. Aujourd’hui, tu regardes un gars comme Markus Eder, c’est peut-être le meilleur skieur parce qu’il est ultra-complet. Il a fait du freestyle en coupe du monde et aux X Games, il a été champion du monde de freeride. Et plus proche de nous, Sam (Favret, NDLR), il a été l’exemple de ma jeunesse. Il ride super fort. Il est super fort en l’air. Ou encore Kevin Guri ; C’est une machine. En alpin, il est bien posé. En freeride, c’est une bête. Il a fait une dizaine d’années de freetyle. Ce sont des gars super complets parce qu’ils s’intéressent à tout.
Black Crows : Comment tu t’entraînes dans ce registre ?
Virgile : On a la chance d’avoir des structures qui sont assez adaptées. À Leysin, à 1 h 30 d’ici, il y a un airbag et ça permet d’envoyer sans risque. Ces dernières années, j’ai énormément progressé là-dessus. Je suis assez dur avec moi-même parce que le niveau augmente tellement vite, qu’il faut aussi que j’attrape le wagon. Et ces 10 dernières années, le freestyle a pris tellement de place dans le freeride, comme cette année au bec des Rosses (Xtrême de Verbier, NDLR) où ça commence à trickser dans la hollywood, au milieu de la face. Donc en entraînement, je mets plus l’accent sur l’explosivité que sur la force. Donc muscu,velo airbags etc.
Black Crows : Comment es-tu rentré chez Black Crows ?
Virgile : C’est aussi en 2020 que j’ai fait la connaissance de Flo Bastien. Il était déjà team manager et encore skieur pro. J’avais fait sa connaissance par le biais d’Aurel et Rudy qui étaient sponsorisés par Black Crows. Un jour, il est monté au refuge (Moëde Anterne, le refuge familial, NDLR) en vélo et je l’ai croisé sur la route alors que je remontais en 4X4. Je lui ai payé une bière et on a discuté. Je lui explique ma situation et ma volonté de faire des compétitions, et au final il me dit qu’il allait me filer des skis pour l’hiver.
Black Crows : Tu skiais sur quel ski en compétition ?
Virgile : Quand je suis rentré dans le team, j’ai réussi à choper des corvus de 2010 et un sevun. Donc les premières compétitions, je les ai faits en vieux corvus et en sevun. J’adorais ces skis. Il me fallait du solide sous le pied. Mais depuis, je me suis fait un peu violence pour évoluer et comprendre comment les nouveaux shapes marchaient et développer des techniques et aptitudes que je n’avais pas. Skier avec des skis plus “chats”.
Black Crows : Le nouveau corvus par exemple ?
Virgile : Oui, c’est avec le nouveau corvus que je me suis qualifié puisque j’ai pu avoir les skis en janvier 2023. C’est un projet qu’on a démarré en février 2022 et ça a été vraiment cool. Ils m’ont laissé m’impliquer et ça, c’est un peu le rêve de tous skieurs. Ils voulaient un ski plus accessible et c’est un ski qui a énormément de pivot et qui reste très puissant. Et pour trouver la combinaison des deux, ça a été un vrai casse-tête. Mais là c’est un ski qui a énormément d’accroches, en carving ça marche bien, en freeride, il ne bouge pas. Et il est twintip donc ça te donne aussi beaucoup de possibilités. C’est vraiment un gun. C’est un ski avec lequel tu fais tout. Pas ultra-facile mais bien plus abordable que l’ancien. Et c’était la ligne directrice. Donc il garde l’ADN du corvus mais en beaucoup plus accessible. C’est une vraie réussite et je suis fier d’avoir contribué à ce projet.
Black Crows : Et au niveau sponsoring, tu peux te reposer dessus pour la saison ou tu dois travailler ?
Virgile : Moi je suis un gros travailleur (rire). Je pourrais éventuellement financer la saison avec les sponsors, mais j’ai grandi avec le travail. J’ai toujours été tout seul à financer mes saisons. Donc j’ai toujours travaillé au maximum l’été pour avoir un maximum de temps en hiver. Mon père et ma grand-mère sont gardiens de refuge, et moi je suis menuisier charpentier l’été, donc je me mets des grosses saisons d’été. C’est donc, charpente la semaine et le week-end en refuge, plus tous les soirs de la semaine, entraînement physique. Je me suis fabriqué une salle dans le dépôt du refuge à Cheddes. Je me suis soudé un rack à squats. Je me suis fabriqué plein de trucs. Et cela me permet d’avoir la disponibilité que je veux. J’y vais le soir, en général 18 h-30-20 h 30. Et le lendemain ça rattaque au boulot. Et puis ça me fait du bien. Tu rentres dans un cycle où le sport après le travail te fait du bien. En plus t’as l’objectif de l’hiver qui te booste.
Black Crows : Encore une question, tu as quelle expérience des tournages ?
Virgile : Il y a quelques années, en plein Covid, on a tourné Frost avec Rudy et Aurel Collet, et aussi Aurel Lardy et Gaspard Picot. C’est avec eux qu’on a monté l’association Frost Compagny. C’est par son biais qu’on organise Cross the Line en fin d’hiver à la Flégère, un skicross hors-piste qui grossit de plus en plus. Le film avait pour objectif de présenter l’association et les skieurs qu’il y avait dedans. C’était une bonne expérience de tournage. On avait passé quatre jours dans le refuge. On devait faire une suite, mais on ne l’a pas encore fait. Et sinon, j’ai tourné avec Nikolai en Autriche cet hiver pour son prochain film. On a eu de pures conditions. On s’est régalé. Et sinon des shootings avec black crows, des vidéos produits etc. Ça me plaît en tout cas.