Tout ce que je voulais, c’était skier

Photo de couverture @Ben Dann.

Brenden Cronin est skieur. Un skieur qui a beaucoup de responsabilité puisqu’il est Agent de Prévoyance des Avalanches sur la State Highway 22 qui traverse le col Téton situé entre la vallée de Jackson Hole dans le wyoming et la vallée du Teton dans l’Idaho. Situé à 2 570 mètres d’altitude, le passage est souvent envahi par la neige ou submergé par les avalanches. C’est alors que Brenden et son équipe entrent en action, travaillant nuit et jour pour que chacun puisse vaquer à son quotidien en regardant bien à l’abri dans sa voiture les tonnes de neige accumulées sur le bord de la route. 

Brenden aux commandes du nouveau Caterpillar de 755ch- ©Ben Dann

Je conduisais une Toyota Camry de 91 qui brûlait un quart d’huile tous les 200 miles à travers le comté, et qui ne dépassait pas les 60 miles par heure. Je me souviens m’être arrêté dans l’Ohio et des personnes âgées m’ont posé des questions sur les skis nautiques que j’avais sur le toit. Il s’agissait de Dynastar 4×4. Je les avais achetés lors d’une foire aux skis à Sugarloaf dans le Maine et, avec mon orgueil de jeune skieur intrépide, je les trouvais trop petit. 

J’ai déménagé dans l’Ouest à l’automne 2005. Lors de mon dernier dîner avec mes parents, ma mère m’a demandé : “Qu’est-ce que tu vas faire ?”. J’ai répondu : “Je vais faire du ski”. Je suis presque sûr qu’elle a versé une larme, tandis que mon père a simplement dit : “Vas-y !”. Ce n’était pas un grand saut ; j’allais occuper une chambre chez une tante à Salt Lake City. Mon premier hiver, j’ai travaillé comme pisteur. À cette époque, je ne savais même pas qu”on utilisait des explosifs pour déclencher les avalanches. Tout ce que je savais, c’est que je voulais skier. Je me débrouillerais pour le reste. C’était mon rêve : être skieur. 

Quoi d’autre ? @Brenden Cronin

00 h 30, nuit, froid, vent avec 60 cm de neige par heure. Je me suis couché il y a 4 heures. La machine à expresso ronronne et produit l’or liquide qui va faire avancer cette journée. L’état d’esprit est excellent pour ce départ matinal qui implique un Caterpillar diesel de 755 ch poussant la tête d’une souffleuse à neige qui peut déplacer 5 000 tonnes de neige à l’heure. 

Si je m’y prends bien, malgré le bruit qu’elle fait, vous ne devriez pas vous rendre compte de ma présence. La route est fermée à 3 heures, nous réglons le problème, nous nettoyons si les débris de l’avalanche atteignent la route et nous rouvrons la route. 

Tout est sous contrôle. @Brenden Cronin

Grosse responsabilité. @Brenden Cronin

Brenden aux commandes de l’ancien John Deer diesel de “seulement” 12,5 litres et 600 ch poussant la tête d’une souffleuse à neige pouvant déplacer 3000 tonnes de neige à l’heure. @Brenden Cronin

Travailler dans l’obscurité et ouvrir la route quand tout le monde est encore au lit, n’est pas toujours mon quotidien. Parfois, c’est au milieu de la journée que la tempête fait rage. Parfois aussi, je n’y peux rien. La route semble se fermer d’elle-même pour toutes sortes de raisons. 

Vous ne savez pas ce que je fais. Mais je sais ce que je dois faire pour que la machine avance et que les automobilistes soient en sécurité. Je regarde les modèles météorologiques. J’écoute le vent. Je regarde la neige s’accumuler sur la route. Les zones de départ commencent à changer lentement de forme. Je me déplace dans les montagnes et je sens la neige sous mes pieds. J’enregistre toutes ces informations et je les utiliserai plus tard pour prendre les décisions depuis mon bureau. 

Ledit bureau se trouve en montagne, dans un camion sur le bord d’une autoroute ou dans diverses constructions modulaires. Une partie des centres de contrôle des avalanches se trouve à 500 mètres au-dessus de l’autoroute. En hiver, nous descendons à ski et c’est l’occasion d’analyser la neige in situ. Parfois, pour aller d’une construction à l’autre, le plus simple est d’y aller à ski. Ce qui tombe plutôt bien. 

Pas la meilleure journée, le meilleur boulot. @Bobby Griffith

Interdiction de fumer. @Brenden Cronin

J’aime mon travail. C’est le plus gratifiant et parfois le plus stressant que j’ai jamais effectué. Il m’empêche de dormir, me laisse un creux dans l’estomac et, certains jours, j’ai du mal à respirer. Je respire de la neige si légère que je m’étouffe. J’ai besoin d’un tuba. Je déteste mon travail, j’adore mon travail. Je n’arrête pas de dire “moi” comme si j’étais le seul, mais c’est une petite équipe, concentrée et passionnée, avec laquelle j’ai la chance de travailler lorsque les décisions difficiles sont à prendre. 

Les gens m’envoient des SMS pour me demander quand la route sera ouverte, si je sais pourquoi elle a été fermée et si nous avions vraiment besoin de la fermer. Je souris parce qu’ils sont chez eux, bien au chaud dans leur lit, peut-être au bar du coin, à se plaindre qu’ils ne veulent pas faire de détour pour rentrer chez eux. De notre côté, nous en avons gros sur la conscience car la moindre erreur dans nos décisions affectera des milliers de personnes. Ce sont ces décisions difficiles qui me tiennent éveillé la nuit. 

Les chanceux qui skient depuis la State Highway 22 un jour de grosse poudre. @Brenden Cronin

Aux grands maux, les grands moyens. Le 105 Howitzer en action. @Brenden Cronin

Étudier des solutions dans l’urgence, prendre des décisions difficiles, veiller au bon processus une fois la décision prise, c’est ce qui fait la spécificité de mon travail. Parfois, c’est relativement facile, avec des données très directes, d’autres fois, c’est une horrible nuance de gris, rien ne semble ressortir et la prise de décision patine douloureusement. Travailler à la recherche d’une solution pendant que tous les autres sont au lit, en sécurité, au chaud. Sortir et sentir le vent se déchirer sur votre visage, cette belle et puissante brûlure qui vous irradie jusqu’à la moelle. J’ai de la chance, j’adore ça. 

Ce que je fais me fascine, et la façon dont j’en suis arrivé là me fascine aussi. 

J’ai poursuivi un rêve. 

Tout ce que je voulais, c’était skier. 

Brenden Cronin, @brenden.f.cronin

Tout doux la bête. @Ben Dann.

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