Lukas Ebenbichler : seconde nature

Rencontre avec le crow Lukas Ebenbichler, technologue de l’environnement et secouriste dans les belles montagnes autrichiennes quand il ne parcourt pas le globe avec ses longs souliers de bois et de fibres tissés. Une enfance passée en pleine nature, une adolescence rivée aux stades de slalom et, après un grave accident de ski, la redécouverte du monde sauvage. Mélange d’action et de contemplation, Lukas a désormais la montagne chevillée au corps.

BC: Tu as grandi dans les montagnes, est-ce que tu peux nous décrire ta ville natale ?

Lukas: J’ai grandi à Brandberg, une petite ville à 5 minutes de Mayrhofen, une des stations touristiques les plus importantes du Tyrol. C’est une petite ville de montagne avec son hôtel et ses trois restaurants. Il y a deux remontées mécaniques et le domaine skiable est relié à deux autres stations, ce qui offre un beau terrain de jeu. Notre village est fortement connecté au ski et à la montagne ; de nombreux anciens compétiteurs en sont originaires, et aussi Peter Habeler, le premier homme à avoir gravi l’Everest sans oxygène (en compagnie de Reinhold Messner, NDLR.). La ville de Mayrhofen est tournée à 100 % vers le tourisme et, l’été, c’est assez intense de vivre ici.

BC: Tu as grandi en faisant des activités de plein air avec ta famille ?

Lukas: Nous sommes trois frères et sommes tous passés par la compétition en ski alpin, la majeure partie de notre temps libre était donc consacré à s’entraîner en vue des compétitions. L’été, on randonnait autour de chez nous, on faisait des sorties VTT et un peu d’escalade. Nos parents ont toujours accordé une grande importance aux activités de plein air, ils nous ont ainsi fait découvrir la beauté de la nature et nous ont donné une éducation “montagnarde”.

BC: Comment décrirais-tu ton évolution de skieur, de la compétition au skicross, puis au freeski ?

Lukas: Jeune, je rêvais de devenir Hermann Maier – ce solide et rapide skieur qui défonce les portes et remporte toutes les courses – être célèbre et skier tout l’hiver. C’est ce qui m’a poussé, à 14 ans, à rejoindre le programme ski études de Salzburg. Je me débrouillais pas mal, mais pas assez pour intégrer l’équipe Autrichienne. Et puis soudain, mon frère aîné, Chris, est devenu membre de l’équipe nationale de skicross. J’ai immédiatement voulu le suivre dans cette direction et j’ai commencé à me concentrer sur cet objectif. En parallèle, je faisais de la randonnée, mais c’était uniquement dans le but de m’entraîner. Après quelques courses nationales, j’ai participé à des FIS (le circuit international de la Fédération International de Ski) et des coupes d’Europe.

BC: Est-ce que tu peux revenir sur ton accident et sa coïncidence avec celui subi par ton frère ?

Lukas: J’étais qualifié pour les quarts de finale et suis sorti de la porte de départ en deuxième position. Avant un virage en S, un compétiteur a perdu son ski juste devant moi, et comme il faisait très froid, cela a soulevé une grosse gerbe de neige. Pensant que le mec était dans le nuage, j’ai ralenti, mais le skieur derrière moi n’a pas tiré le frein et m’a percuté de plein fouet skis en avant. Résultat des courses : deux mois de béquilles, des contusions aux côtes, aux reins, un traumatisme crânien et une colonne vertébrale bien amochée. Un an avant, jour pour jour, lors d’une étape de coupe du monde mon frère Chris a été victime d’un accident plus grave encore. Bras cassés, orbite et pommette brisés, déchirure du LCA et ainsi de suite… Ça a été deux années difficiles pour la famille.

BC: Depuis vous vous abstenez de skier à cette date ?

Lukas: (Rires). Non, à cette date nous essayons de skier entre nous (Chris, Benedikt et moi-même). Je suppose que c’est une date à retenir puisqu’à partir de ce jour, les choses ont changé et en mieux.

BC: Tu skies souvent avec tes frères ?

Lukas: On essaie de skier ensemble aussi souvent que possible. Ils m’ont appris beaucoup. C’est assez stimulant de skier avec ses frères aînés. Tu veux leur montrer ton potentiel ou essayer de les confronter à des situations auxquelles ils ne sont pas habitués.

BC: Après le skicross, tu as fait ton entrée dans les compétitions de ski freeride. Tu as trouvé ce que tu cherchais ?

Lukas: Au début des compétitions j’étais remonté à bloc et pensais avoir trouvé ma voie. Je me souviens d’une journée qui m’a marquée, c’était à Saint-Moritz et j’attendais le départ de l’Engadinsnow : grand ciel bleu, froid, il avait neigé durant 5 jours. Et je me retrouvais au sommet d’une face qui ne me disait rien, à devoir attendre trois heures pour une seule descente. Je me suis dit : ce n’est pas le ski que j’ai envie de faire. Je me suis donc progressivement tourné vers l’image. Mais messieurs qui sont en lice sur le World Tour, chapeau bas, vous déchirez, j’ai beaucoup de respect pour vous, mais ce n’est simplement pas mon truc.

BC: Considères-tu qu’il existe de réelles différences entre le ski de piste et la poudreuse ? Ou pour toi c’est du pareil au même ?

Lukas: Bien sûr qu’il y a de grosses différences entre les deux disciplines. Le ski de piste se déroule sur une piste damée sans obstacles (à part les touristes peut-être). Tu te concentres uniquement sur tes virages. C’est amusant d’aller à balle avec des skis de course. Mais quand il s’agit de ski hors piste, il y a une multitude paramètres à prendre en compte. Quelle est la stabilité du manteau neigeux ? Qu’y a-t-il derrière cette arête ou sous la neige ? C’est beaucoup plus stimulant. Tu es beaucoup plus connecté avec la montagne et la nature, c’est la chose la plus importante pour moi.

BC: Qu’est-ce qui se distingue de ta dernière saison ?

Lukas: Il n’y a pas de mauvaise journée quand tu sors en montagne, mais ce qui me vient à l’esprit, ce sont mes voyages au Japon et en Norvège. Ce sont les deux temps forts de ma saison précédente. Nous filmions pour notre dernier projet « Characters on Skis ». Nous avons pensé que ce serait une bonne idée d’inclure au film d’autres paysages, nous avons donc décidé de sauter dans l’avion. C’était exceptionnel, des terrains de jeux et un ski différent, une expérience à ne louper pour rien au monde.

BC: Je suppose que le Japon et la Norvège sont très distincts, comment comparerais-tu des endroits si différents ?

Lukas: C’est évidemment totalement différent. La Norvège et sa beauté naturelle, tous ces fjords, ces sommets qui jaillissent de l’eau, ce vaste terrain de jeu sauvage, ces petites maisons rouges, ces élans qui courent comme les vaches en Autriche. J’y retournerai c’est certain ! Le Japon c’était également incroyable, atterrir à Sapporo après 24 heures de voyage et voir toutes ces personnes souriantes c’était très drôle. Tous très chaleureux mais incapables de parler un anglais convenable, alors on faisait appel au langage des signes.

BC: Était-ce ta première virée au Japon ? Ce doit être autant un choc culturel qu’un choc de glisse ?

Lukas: Oui c’était ma première fois au Japon. Le premier jour, nous étions super contents de skier 20 cm de poudreuse, mais le lendemain il s’est mis à neiger et ça ne s’est pas arrêté pendant 10 jours. C’était le paradis de la fraîche. Nous faisions constamment les premières traces, c’était incroyable. On ridait de 8 heures à 18 heures et on ne s’arrêtait que pour avaler quelques sushis avant de retourner skier de plus belle. Un choc culturel, pas tant que ça. On savait que les Japonais souriaient constamment et étaient très polis, c’était donc sans embûche, sauf les salles des bains… Se retrouver assis sur un petit tabouret entouré de 8 Japonais en train de se doucher devant un miroir, c’était une véritable nouveauté. (Rires).

BC: D’autres différences culturelles notables ?

Lukas: Une autre anecdote drôle qui me vient à l’esprit, c’est lorsque j’attendais le taxi pour l’aéroport. Je marchais au milieu d’un gros centre commercial à Chitose et j’étais le seul européen de toute la galerie marchande. Avec mes cheveux blonds et mes yeux bleus, je pouvais difficilement passer inaperçu. J’ai dû faire une centaine de photos, principalement avec des filles. C’était une expérience rigolote. (Rires)

BC: Quels skis as-tu emportés avec toi ?

Lukas: Pour ce genre de conditions, tu as besoin d’une paire de bons gros planchons, pour skier vite et flotter sur cette poudre ultralégère. Lors de ce voyage j’ai utilisé une paire d’Anima, c’est mon ski à tout faire. Un ski et un shape parfait, à la fois joueur et agressif. Le Nocta aurait pu être un meilleur choix, c’est la star de ce genre de neige. Un ski large à spatules progressives pour rider plein gaz sans avoir peur d’enfourner.

BC: Comment s’est déroulée la saison dans ta station natale ?

Lukas: À cause du manque de neige et de la météo capricieuse, c’était assez délicat. Certaines orientations étaient très dangereuses. Pour ne pas se retrouver piégé par les conditions, il fallait vraiment se creuser la tête et bien analyser la montagne. Mais au final, j’ai pu trouver quelques bons coins où je me suis vraiment éclaté.

BC: Qu’est-ce que tu peux nous dire au sujet de cette nouvelle descente à Zillertal ? Quel était le but et comment ça s’est déroulé ?

Lukas: L’objectif était de skier une face vierge que nous avions toujours scrutée au loin. Nous y sommes allés pour la première fois avec Roman Rohrmoser et Jule Neumann. Les cadreurs se sont placés sur le versant opposé de la vallée. Sur la partie haute, la face était moins raide que prévu, mais à partir du milieu, elle s’est avérée plus escarpée avec de vrai spines. Ça ressemblait presque à l’Alaska. Nous avons remonté la face à pieds en 3 heures et l’avons skié en 6 ou 7 virages. Au final une grosse bavante pour une descente assez courte, mais cela valait le coup. Le meilleur jour de la saison à la maison.

BC: Qu’est-ce que tu fais l’été venu ?

Lukas: Pendant l’été, je travaille au bureau de mon père. Nous avons un bureau d’arpenteurs géomètres, on mesure de nouvelles propriétés, on assiste nos clients pour la construction de leur maison, on réalise des animations pour prévenir les risques naturels. Il y a de quoi faire. En dehors du travail, je passe un maximum de temps dans les montagnes, je grimpe, je fais de l’alpinisme et du vélo. Je suis aussi un membre actif du secours en montagne de Zillertal.

BC: En quoi consiste ton travail de secouriste ?

Lukas: Je fais ça depuis deux ans. C’est une tache épanouissante, mais difficile. Tu rencontres des choses que tu ne vois généralement jamais. Chaque intervention est différente : avalanches, accidents en escalade, personnes portées disparues et accidents d’alpinisme. Porter assistance aux autres c’est s’exposer constamment. Il faut être pleinement préparé puisque tu approches souvent tes propres limites. Tu n’es plus seulement responsable de toi et des éventuels blessés, mais aussi des membres de ton équipe. Je fais cela car je veux aider les personnes en danger et parce que j’aimerais que l’on fasse de même si j’étais à leur place.

BC: Quels sont tes projets pour la saison à venir ?

Lukas: Je vais commencer un nouveau projet qui s’intitule « Hinterm Haus » (derrière la maison). L’idée est de présenter mon nid sous un angle différent. Je veux montrer qu’ici aussi, nous avons de quoi faire de la pente raide. Pas besoin d’aller chercher ailleurs, il y a tout ce qu’il faut par ici. Voilà l’idée, ce sera sûrement un projet qui s’étendra sur deux ans. Je vais randonner dans notre jardin secret à la recherche de nouveaux spots, de lignes raides et ainsi de suite. De plus je vais continuer à filmer avec Midiafilm et peut-être faire avec eux un voyage en Russie et au Japon. Cela fait deux ans que je filme avec eux et, cette année, ce sera notre troisième projet. On est une bonne bande de potes et on a la chance d’avoir avec nous un cameraman super créatif.

BC: Et pour clore cet entretien, qu’est-ce que signifie le ski pour toi ?

Lukas: Le ski, c’est mon univers. Je ne considère pas ça comme une profession ou un travail, mais comme un privilège. J’adore ce que je fais et je suis très heureux de le faire librement. Le ski est étroitement lié à la nature et aux montagnes, il te rend plus fort et permet d’oublier tout le reste. Je suis heureux de pouvoir partager ça avec ceux que j’apprécie et plus spécialement avec la personne que j’aime.

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