Les rêves subsistent

Épilogue d’un rêve imaginé à deux et terminé seul après la disparition de sa compagne Hilaree Nelson, Jim Morrison skie le couloir Hornbein en face nord de l’Everest, une réalisation majeure dans l’histoire de la haute altitude.

Spécialiste du ski de haute altitude, Jim Morrison, originaire de Walnut Creek et résidant à Lake Tahoe en Californie, a réussi l’un des grands défis himalayens en effectuant la descente du couloir Hornbein. Ce couloir radical et esthétique, griffant verticalement le plus haut sommet de notre planète, se tenait comme une évidence dans la quête de défis grandioses que s’étaient fixés le couple d’aventuriers formé par Jim et Hilaree.

Jim Morrison est entré dans l’histoire de l’alpinisme en réalisant la première descente à ski du couloir Hornbein en face nord de l’Everest. Photo : Savannah Cummins pour National Geographic.

Le couple avait déjà réalisé de nombreuses expéditions depuis leur rencontre en 2015, notamment la première descente du Papsura, en Inde (6 449 mètres) en 2017 et la première descente du Lhotse (8 516 mètres) en 2018, une ligne en face nord surnommée “the dream line”. En 2022, ils avaient jeté leur dévolu sur la face nord du Manaslu (8 163 mètres). Parvenus au sommet, Jim et Hilaree ont entamé la descente, c’est là qu’Hilaree a déclenché une petite avalanche sur la pente sommitale et a été emporté dans la face sud sous les yeux impuissants de Jim. Deux jours après l’accident, dans des conditions difficiles, Jim et le pilote népalais Surendra Paudel, réussirent à la localiser pour récupérer son corps.

Après cet accident dramatique, Jim a continué, comme il l’a toujours fait au long d’une vie pas épargnée par le deuil. L’année suivante, il est parti sur l’Everest pour continuer ce qu’ils avaient projeté ensemble, le couloir Hornbein en face nord de la cime planétaire. Mais les démarches administratives kafkaïennes avec les autorités chinoises – la face nord se trouve au Tibet – eurent raison de la fenêtre météo et firent dérailler l’expédition. Au printemps 2024, Jim s’est fixé un autre objectif avec les skieuses Christina Lustenberger et Chantel Astorga pour réaliser la première descente à ski de la face ouest de Great Trango (6 286 mètres) au Pakistan. Une ligne incroyable que nous avons relayée dans un article précédent.

Néanmoins, ce projet du Hornbein à l’Everest continuait à aimanter Jim et il refit une tentative à l’automne 2024. Cette fois, après avoir pu skier depuis 7 000 mètres au cours de son acclimatation, l’accident et le sauvetage de l’un de ses coéquipiers, Yukta Gurung fit dévier l’expédition. C’est également cette année-là, que l’équipe de tournage composée de Jimmy Chin, Erich Roepke et Mark Fisher découvrit une chaussure sur laquelle était brodée l’inscription « A.C. Irvine ». Elle aurait appartenu à Andrew Comyn Irvine,  dit Sandy, disparu voilà cent ans en compagnie de George Mallory lors de leur tentative d’ascension du 8 juin 1924. Levant ainsi un pan du mystère qui enveloppe cette expédition.

Cette année, en 2025, la troisième tentative aura été la bonne. Entouré d’une équipe plus réduite, dont Yukta Gurung, rétabli de son accident, d’Adrian Ballinger, responsable de la partie escalade, des Équatoriens Esteban « Topo » Mena et Roberto « Tico » Morales, chargés de l’équipement de la voie, d’une équipe de Sherpas de Phortse spécialement sélectionnée et d’une équipe de tournage dirigée par son ami Jimmy Chin, coréalisateur du documentaire oscarisé Free Solo, Jim a gravi l’Everest avec oxygène le 15 octobre par une voie empruntant la voie japonaise et le Hornbein et a atteint le sommet à 12 h 45. Là-haut, il a dispersé une partie des cendres d’Hilaree au-dessus du monde puis, à 14 heures, il a chaussé ses Camox freebird et entamé la descente. Seul cette fois face à ce géant, si ce n’est la présence du sourire d’Hilaree.

La face nord de l’Everest. Photo Savannah Cummins pour National Geographic.

Jim Morrison et Jimmy Chin. Photo Savannah Cummins pour National Geographic.

Jim Morrison à l’entrainement devant la face nord de l’Everest. Photo : Jimmy Chin.

La face, balayée par les vents de la semaine précédente, promettait des conditions difficiles et Jim les a qualifiés « d’épouvantables ». Il a d’abord skié jusqu’à la section la plus étroite. Trop rocheuse pour être skiée, elle l’a contraint à descendre en rappel sur environ 200 mètres avant de pouvoir rechausser. « C’était un mélange de ski de survie et de vraie ride », a déclaré Jim après la descente.  « Certaines sections étaient suffisamment lisses pour de véritables virages. D’autres étaient creusées et relevées de plus d’un mètre, comme des vagues gelées. » Arrivé au camp 3, il a fait une courte pause avant d’enchaîner les plus beaux virages jusqu’au camp 2 et finalement d’accéder aux pentes les plus douces où il a pu savourer les dernières courbes.

(De gauche à droite) : Erich Roepke, Jim Morrison, Jimmy Chin et Pemba Sharwa au sommet de l’Everest. Photo : Leo Hoorn pour National Geographic.

« Quand j’ai enfin franchi la rimaye, j’ai pleuré. J’avais pris tellement de risques, mais j’étais en vie. C’était comme un hommage à Hilaree, quelque chose dont elle serait fière. Je l’ai vraiment sentie avec moi, comme si elle m’encourageait, » témoignait Jim après son extraordinaire descente. Toute l’équipe est redescendue saine et sauve, mettant ainsi un terme à cette expédition grandiose qui avait commencé en 2020 quand le couple avait mis son dévolu sur ce monument du ski d’altitude.

Pour un Chamoniard, le Hornbein, c’est Marco Siffredi qui, en 2002, n’est pas revenu. Après avoir descendu le Norton l’année précédente, il s’éloigna à jamais avec son snow dans la ligne abrupte du Hornbein. Marco, au contraire de Jim, n’était pas monté dans le couloir et n’avait pu mesurer les difficultés à venir. C’était également une expédition avec très peu de moyens, organisée avec la fougue qui caractérisait Marco, ce qui rendait impossible une expédition remontant le Hornbein. Comme un clin d’œil à notre ami disparu, Jim Morrison a réussi 23 ans plus tard, l’âge de Marco au moment de sa disparition, ce fameux couloir.

Jim et un compagnon de cordée dans les abysses de la face nord. Photo : Leo Hoorn pour National Geographic.

Pour un États-Unien, le Hornbein est d’abord un symbole, car ce couloir fut nommé en l’honneur de Tom Hornbein qui, en 1963 avec Willi Unsoeld, quelques jours après la première américaine sur l’arête sud-est, furent les premiers à gravir l’Everest par l’arrête ouest avant de la redescendre par le col sud. Cet exploit qui a impliqué une nuit passée à 8 500 mètres, a marqué l’histoire de l’alpinisme car il s’agissait de la première traversée d’un 8 000.

Jim Morisson à l’assaut de la face nord avec de jolis skis rouges sur le dos. Photo : Jimmy Chin.

(De gauche à droite) : Roberto (Tico) Morales, Esteban (Topo) Mena Yanez, Jimmy Chin et Jim Morrison au sommet. Photo Pemba Sharwa pour National Geographic.

Ce 15 octobre 2025, marquera l’histoire comme la première descente à ski du couloir le plus vertical et rectiligne de la plus haute montagne du monde, par lequel Hornbein et Unsoeld terminèrent leur ascension en 1963. Voilà qui est fait, le tout devant les caméras de National Geographic avec des Camox freebird aux pieds. Bravo Jim. Bravo l’équipe.

Enfin, saluons la performance du polonais Andrzej Bargiel qui, le 22 septembre 2025, a réalisé la première descente à ski de la voie normale de l’arête sud-est de l’Everest sans oxygène supplémentaire.

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