24 heures, le temps d’un rêve

Maxence Gallot partage un rêve biaisé, celui d’une session de poudreuse sans cesse contrariée par le redoux. Moniteur de son état, il a passé l’hiver aux premières loges et attend toujours le début du spectacle.

Aujourd’hui, les Alpes crèvent de chaud et le mercure continue de grimper dans ma tête. Quelle sorte de surchauffe m’a amené à faire couler de l’encre aujourd’hui ?

Maxence Gallot

Doucement, je rembobine le film de l’hiver déjà terminé ou pas encore commencé. À vrai dire, je ne sais plus trop où on en est ? J’aime à penser que j’aurai la tête froide, les moustaches gelées et les idées rafraîchies d’ici quelque temps. Appelez ça de l’optimisme. Simple constat dressé par Météo France : il n’a jamais fait moins de -10 degrés en ce début de saison 2020 au pied du Mont-Blanc. À l’heure où ces lignes m’inspirent, nous voilà début février. Il est 17 h 23, heure où le regel aime habituellement faire son apparition en montagne. Au lieu de ça, j’observe la pluie tomber par la fenêtre, je vis à 2000 mètres d’altitude. Quelque chose ne tourne décidément pas rond.

Maxence Gallot

À défaut de pouvoir tracer la mienne dans un manteau neigeux humide et doux, les lignes tracées par mon esprit me permettent de m’échapper. Mon inconscient me fait souvent voyager dans des contrées que je ne connais pas. Là où la poudreuse te vole dans les narines, légère comme poussière. Moi aussi, j’ai envie de m’évader au Japon, (le pire hiver depuis 40 ans là-bas, dit-on), glisser mes spatules dans les forêts de Colombie Britannique, tailler la route et manger de la peuf. J’en rêve depuis tout gosse et comme un voyage ne me suffit jamais, j’en veux toujours plus. Mais, petit à petit, mes aspirations changent, mon éthique, ma sagesse soulève un paradoxe qui m’interroge sur notre mode de vie. Ce train-train de privilégiés qui cherchent à combler leurs besoins au sommet de la pyramide, aux sommets des quatre coins du globe.

Maxence Gallot

Aller chercher à l’autre bout du monde de la neige qu’on n’a pas chez soi pour remplir de joie notre conscience biaisée par notre ego, la boîte noire pleine de photos souvenir autocentrées, tentant le tout pour le tout pour peser lourd dans l’insta gramme. La légende disant “J’y étais. Je l’ai fait”. Au prix d’une empreinte carbone qui s’alourdit de jour en jour, les réacteurs d’avions surchauffent, nos souvenirs numériques s’entassent dans un ordi lui-même prêt à étouffer. Lentement, mais sûrement, cette chaleur anormale devenue la norme “refroidie par la clim” envoie le permafrost valser en enfer et les composites rocheux s’effondrer avec.

Maxence Gallot

24 heures, c’est le cycle que j’ai observé le plus régulièrement ces derniers mois. Le temps pour la dépression de s’installer, les flocons de tomber, le vent de souffler, les grains de se transformer et une grande vague de chaleur revient déjà. 10 degrés à 2000, un soleil brûlant trois heures à peine après la fin d’une chute de neige intense, tu m’étonnes que les nivologues s’arrachent les cheveux et que nos pisteurs ramassent les “pots cassées” dans des avalanches à répétition. Des couches fragiles qui n’en finissent plus de se former, des plaques qui décrochent au fur et à mesure que le puzzle s’effondre, des faces qui se cassent la gueule à vue d’œil et des glaciers qui tentent de résister, tant mal que mal. Ce coup de chaud qui survient constamment, c’est une poudreuse qui ne cesse de s’alourdir, emportant nos rêves de légèreté. Le redoux finit presque toujours par clôturer l’épisode neigeux, aussi bref soit il, toujours plus haut et toujours plus présent.

Maxence Gallot

Bien heureusement, il reste encore de belles sorties à faire pourvu qu’on ait du flair, un peu de chance et du temps devant soi. C’est pour vivre ces moments que les montagnards se lèvent tous les matins. L’espoir donne vie à des sessions incroyables hors des sentiers battus, loin des télésièges, avec de la poudre jusque-là. C’est peut-être parce que ces occasions se font plus rares et que leur durée est éphémère, qu’il faut continuer d’en profiter. Savourer cette nostalgie, apprécier ce qu’on a sous les pieds au moment où ça tombe et continuer de fabriquer des skis Black Crows qui flottent. Je ne sais pas combien de temps cela durera, l’avenir nous le dira, peut-être que le froid deviendra plus rare et qu’il faudra tout bonnement l’accepter.

Maxence Gallot

Si chacun use de sa plume pour aller de l’avant, secouer les foules et donner des couleurs à notre avenir, alors peut être que nos enfants pourront eux aussi skier les deux pieds serrés, chercher le déséquilibre, jouer du rebond sans toucher le fond. Pourvu qu’ils connaissent ce sentiment d’exaltation propre à tout skieur passionné qui se régale dans des champs vierges immaculés. Pourvu que le rêve continue à devenir réalité.

Maxence Gallot

 

Maxence Gallot

Articles associés


Bleu Blanc Noir, enfermé


Le sucre rend ivre, l’ivresse fait vivre.