L’Oisan sauvage – Saint Antoine

Le couloir du Saint Antoine, c’est d’abord une découverte tel le nez au milieu de la figure. On peut le voir en intégralité depuis le deuxième tronçon du téléphérique de La Grave, pourtant peu de personnes ne le remarquent. Une fois qu’on a trouvé son point de départ, on cherche sa progression dans l’étroitesse de la paroi. Il faut ensuite plusieurs montées en benne pour apprivoiser sa forme si particulière et si complexe.

Petit mode d’emploi du Saint Antoine.

Le couloir est composé de trois parties.

La première, je la skie en général plusieurs fois dans l’hiver, parfois avec des clients. C’est un couloir effilé que l’on peut voir de différents points de vue. Plutôt étroit (3 à 10 mètres) et raide (40 – 45°), cette première partie est un lieu d’initiation à la pente raide.
Dans la vidéo, on me voit disparaître dans ce dernier couloir mais j’ai décidé d’enlever cette partie au montage car la skiabilité était assez médiocre.

La seconde est une sorte de rampe qui part de gauche à droite sans garde-corps. La descente se fait dans des pentes à 35 – 45° où la chute est interdite sous peine de faire le grand saut. C’est la deuxième fois de ma vie que je mets les spatules dans cette partie du couloir.

La troisième – et sûrement la plus belle – se compose d’une grande pente suspendue suivie d’un couloir (dans le sens de la montée). La première fois que je l’ai skié, je n’avais fait que traverser la pente suspendue car sa descente implique de remonter et donc d’interrompre le ski. Cette année, j’ai remarqué qu’elle passait tard au soleil, mais surtout qu’on pouvait avoir un point de vue où la pente s’aligne parfaitement avec le Grand Pic de La Meije.

2017

Après avoir découvert ce point de vue, je vais voir mon ami Guillaume Le Guillou (Photographe professionnel www.glg-photo.com) qui accepte de photographier ma descente. On se donne rendez-vous au départ du téléphérique le lendemain.

Comme souvent à La Grave, on croise du monde le matin sur les terrasses des bars de ce petit village. Ce jour-là, je rencontre par hasard Jonathan Brothers (un Anglais en mode skibum qui a voulu profiter de la saison avant la fin de la concession des Téléphériques des Glaciers de la Meije). Jonathan est par ailleurs un très bon pilote de drone et ça le motive de me suivre.

Petit repas au resto d’altitude et me voilà parti dans la zone interdite en direction des Enfetchores de droite. La neige est dégueulasse. Deux semaines qu’il n’a pas neigé et qu’il fait chaud comme au printemps…

Skis sur le sac, je pars pour 2h30 de montée. Le premier couloir a été skié trois semaines plus tôt par Joe Vallone et Glen Plake. En dépit de ce laps de temps, la montagne ne s’est pas régénérée et leurs traces forment de petits reliefs glacés dans le premier couloir. Je continue, bien que je sache que ce sera horrible à skier.

Quand je débouche sur la deuxième partie, un sourire s’affiche sur mon visage : la neige froide et douce s’annonce excellente.

En observant la course du soleil, j’en ai déduit que je devais skier la pente suspendue aux alentours de 15h30 pour profiter de ses rayons. Il est 14h45… Je suis vraiment à la bourre ! Je passe la seconde et je commence à cracher mes excès tabalcoologiques de la saison. Pour me motiver, j’écoute Rock or Bust, le dernier album d’AC/DC. Soudain mon téléphone se met à grésiller. Je coupe la musique mais la friture persiste. Je lève la tête. Mais bien sûr ! J’ai le drone au-dessus de la tête !

Sommet du couloir ! Je me prépare à la hâte, ce qui explique le positionnement complètement pourri de ma GoPro dont je ne pourrai pas tirer une seule belle image… Dernier coup de fil à Guigui et Jonathan. Ils sont prêts. Moi aussi.

La pente dans laquelle je m’élance se termine par une falaise de plus de 200 m… Il faut que je m’arrête avant de sauter. Pas trop haut, car je veux essayer de faire de belles images, mais pas trop tard pour ne pas expérimenter le BASE jump sans parachute. Je commence à skier, la neige est très bonne et rapide. J’enchaîne les virages et je me dirige vers la zone ensoleillée. Une grande courbe au soleil. Merde je n’y vois plus rien, j’ai le soleil en pleine tronche ! Changement de cap pour rejoindre la partie ombragée. Je m’approche dangereusement du grand saut. Encore deux courbes. Une… Me voilà au bord d’un précipice qui m’avalerait tout cru si je m’y jetais… Mon cœur est au moins à 180 BPM et je suis presque étourdi par la beauté des derniers virages que je viens d’exécuter. Le shoot d’adrénaline est énorme !

J’enlève mes skis (Orb 172). Quel bonheur de pouvoir vivre des sensations pareilles à deux pas de la maison ! Je commence la remontée de la pente suspendue pour rejoindre la deuxième partie du couloir. En essayant d’aller trop vite, un bâton m’échappe. Je cours dans la pente pour le rattraper mais je suis trop lent. Fort heureusement, il s’arrête dans mes traces. Je le récupère, mais je suis quasiment revenu à mon point de départ…

La deuxième remontée me pique un peu plus les jambes. Il faut que j’en garde sous le pied car la deuxième partie du Saint Antoine ne tolère pas la chute.

Top départ ! La dernière bouffée d’air entre dans mes poumons et je me lance. La neige est un peu moins bonne et je suis fatigué. Je suis concentré à l’extrême. C’est la première fois que je suis filmé en train de skier. Attention à ne pas se mettre trop la pression de la belle image. Reste en vie ! Chaque virage fait partir de la neige dans le vide. J’essaye de ne pas suivre le même chemin !

Les sensations sont très proches de celles que je peux avoir lorsque je pratique le solo en escalade ou en alpinisme (http://www.montagnes-magazine.com/actus-meije-premiere-solo-integral-face-sud-doigt-dieu). Je termine cette deuxième partie au soleil et bascule dans l’ombre de la première partie…

La suite est une succession de dérapage, de virages saccadés et de grandes droites scabreuses. En tout et pour tout, j’aurais skié 10 minutes pour plus de 2h30 de montée. Je n’aurais pas pensé dire ça 8 ans plus tôt quand j’ai commencé, mais c’est un fait : J’AIME le ski !

Le retour dans la vallée est paisible. Je me dirige vers le bar pour partager une grande bière avec les deux autres hommes de la journée : Guillaume et Jonathan sans qui seuls ces mots existeraient. Merci les gars !

À l’heure où je vous parle, je commence à planifier mon printemps. Après un passage obligé à l’ENSA pour l’examen final du diplôme de Guide de Haute Montagne, je compte bien écumer les pentes raides de mon pays d’adoption : l’Oisans Sauvage !

À bientôt

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